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fondements avec un travail assidu et même anxieux, et rivalisé ensemble pour élever par degrés la pyramide, jusqu’à ce qu’enfin, aidé de tous ces avantages, éclairé par son divin génie, il a posé la dernière pierre du sommet, au-dessus et à côté de laquelle il n’y a de place pour aucune autre. L’intérêt historique s’accroît encore, si l’on étudie les ouvrages des anciens maîtres. Francesco Francia est un artiste fort respectable ; Pierre de Pérouse, un si brave homme, qu’on le dirait un loyal Allemand. Pourquoi la fortune n’a-t-elle pas conduit Albert Durer plus avant en Italie 1 J’ai vu de lui à Munich des choses d’"ne incroyable grandeur. Le pauvre homme ! Comme il se m> :ompte à Venise, et conclut avec la prêtraille un accord qui lui fait perdre des semaines et des mois ! Et dans son voyage aux PaysBas, il échange contre des perroquets ses magnifiques ouvrages, avec lesquels il espérait faire fortune, et, pour épargner les pourboires, fait le portrait des domestiques qui lui apportent une assiette de fruits ! Ce pauvre fou d’artiste me touche infiniment, parce qu’au fond son sort est aussi le mien. Seulement, je sais un tant soit peu mieux me tirer d’affaire.

Vers le soir, je me suis enfin sauvé de cette vieille, respectable et docte ville, de cette foule, qui, sous les treilles en berceaux, qu’on voit se déployer dans presque toutes les rues, garantie du soleil et du mauvais temps, peut aller et venir, badauder, acheter et vaquer à ses affaires. Je suis monté à la tour, et j’ai joui du grand air. La vue est magnifique. Au nord, on voit les montagnes du Padouan, puis les Alpes de la Suisse, du Tyrol et du Frioul, en un mot toute la chaîne, mais, cette fois, dans le brouillard ; à l’ouest, un horizon sans bornes, où ressortent seulement les clochers de Modène ; à l’est, une plaine tout unie, jusqu’à la mer Adriatique, qu’on aperçoit au lever du soleil ; au sud, les premières collines des Apennins, couvertes jusqu’à leur sommet de cultures et de végétation, peuplées d’églises, de palais et de villas comme les collines de Vicence. Le ciel était’parfaitement pur, pas un ruage ; à l’horizon seulement une sorte de brouillard sec. Le gardien assurait que, depuis six ans, ce brouillard ne cessait pas de couvrir le lointain ; qu’autrefois il avait pu très-bien découvrir avec la lunette d’approche les montagnes de Vicence, ses maisons et ses chapelles,