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tant que possible. Je lui ai donné divers renseignements. Comme je lui parlais de Venise, il m’a demandé depuis combien de temps j’étais ici. Lorsqu’il a su que j’y étais depuis quinze jours seulement et pour la première fois : « II paraît, m’a-t-il dit, que vous n’avez pas perdu votre temps. » C’est le premier témoignage de bonne conduite que je peux produire. Il est ici depuis une semaine et il part demain. C’est pour moi une heureuse circonstance d’avoir vu en pays étranger un Versaillais incarné. Et voilà un voyageur! J’observais avec étonnement comme on peut voyager sans rien apercevoir hors de soi. Et c’est, dans son genre, un brave homme, qui a de l’instruction et du mérite.

Venise, 12 octobre 1786.

On a donné hier à Saint-Luc une pièce nouvelle, l'Iglicismo in Italia. Comme il y a beaucoup d’Anglais en Italie, il est naturel qu’on observe leurs mœurs, et j’espérais apprendre comment les Italiens jugent ces hôtes riches et bienvenus; mais j’ai été déçu dans mon attente. Quelques bonnes scènes folles, comme toujours, et tout le reste trop grave et trop sérieux, sans offrir d’ailleurs aucune trace du caractère anglais; les moralités italiennes accoutumées, et encore, appliquées aux choses les plus communes. Aussi la pièce n’a-t-elle pas été goûtée; elle a failli même être sifflée. Les acteurs ne se sentaient pas dans leur élément; ils n’étaient pas sur la place de Chiozza. Comme c’est la dernière pièce que je verrai ici, il semble que mon enthousiasme pour la représentation nationale d’avant-hier devait être encore augmenté par le contraste.

Après avoir, pour conclure, parcouru mon journal, et inséré les petites observations consignées dans mes tablettes, je dois enregistrer les actes, et les expédier à mes amis pour qu’ils les jugent. Je trouve déjà dans ces pages plus d’une chose que je pourrais mieux déterminer, étendre, corriger, mais il vaut mieux qu’elles subsistent comme témoignage de la première impression, qui, ne fût-elle pas toujours vraie, nous reste toujours précieuse et chère. Si je pouvais seulement faire passer à mes amis un souffle de cette facile existence! Oui, l’Ollramontano se présente à l’Italien comme une image obscure; et moi aussi, je vois maintenant dans un jour sombre ce qui est au delà des