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Je n’ai jamais vu de joie pareille à celle que le peuple a fait éclater, quand il s’est vu représenté si naturellement. Les rires et les transports de joie n’ont pas cessé du commencement à la fin. Il faut convenir aussi que les acteurs faisaient merveilles. Selon la nature des caractères, ils s’étaient partagé les différentes intonations ordinaires parmi le peuple. L’actrice principale était charmante, beaucoup mieux que l’autre jour avec son costume et sa passion héroïques. Toutes les femmes, et particulièrement celle-ci, imitaient à ravir la voix, les gestes et les manières du peuple. L’auteur mérite de grands éloges pour avoir su faire de rien le plus agréable passe-temps. Mais cela n’est possible qu’à l’écrivain national s’adressant à un public de joyeuse humeur. Cette pièce est d’ailleurs écrite par une plume exercée.

De la troupe Sacchi, pour laquelle Gozzi travaillait, et qui d’ailleurs est dispersée, j’ai vu la Smeraldina, épaisse, petite figure, pleine de vie, de finesse et de bonne humeur. Avec elle, j’ai vu Brighetta. C’est un homme maigre, bien tourné, excellent comédien, surtout pour l’expression du visage et le geste. Ces masques, qui nous semblent presque des momies, parce qu’ils n’ont pour nous aucune vie, aucune signification, font ici merveilles, comme productions indigènes. Les âges, les caractères et les états remarquables se sont incorporés dans des habits étranges, et, quand on va et vient soi-même la plus grande partie de l’année avec un masque, on trouve fort naturel de voir paraître sur la scène des visages noirs.

Venise, 11 octobre 1786.

Et comme enfin la solitude n’est guère possible au milieu d’une si grande masse d’hommes, j’ai rencontré un vieux Français qui ne sait pas un mot d’italien, qui se sent trahi et vendu, et qui, avec toutes ses lettres de recommandation, ne sait trop où il en est. C’est un homme de condition, de très-bonnes manières, mais incapable de sortir de lui-même. Il doit approcher de la soixantaine et il a laissé à la maison un fils de sept ans, dont il attend des nouvelles avec anxiété. Je lui ai rendu quelques services. Il parcourut l’Italie à son aise, mais vite, pour l’avoir vue, et il n’est pas fâché de s’instruire, en passant, au-