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cas extraordinaires, elle se brise en haut contre le mur et la saillie. La mer est suivie de ses habitants, de petits coquillages comestibles, de patelles univalves, de tout ce qui peut se mouvoir, et principalement les crabes. Mais à peine ces animaux ont-ils pris possession des murailles polies, que la mer se retire, cédant et regonflant, comme elle est venue. La fourmilière ne sait pas d’abord où elle en est; elle espère toujours que le flot salé reviendra; mais il fait défaut, le soleil pique et sèche promptement : alors la retraite commence. À cette occasion, les crabes cherchent leur proie. On ne peut rien voir de plus comique et de plus bizarre que les gestes de ces créatures, composées d’un corps rond et de deux longues pinces, car leurs autres pieds d’araignée ne sont pas remarquables. Ils s’avancent gravement comme sur des bras en forme d’échasses, et aussitôt qu’une patelle, sous son bouclier, bouge de sa place, ils lui courent sus, pour glisser leur pince dans l’étroit espace entre la valve et le sol, renverser le toit et dévorer le mollusque. La patelle chemine doucement ; mais, aussitôt qu’elle aperçoit l’approche de l’ennemi, elle se colle ferme à la pierre. Le crabe se démène autour du petit toit avec une adresse et une malice amusante, mais la force lui manque pour vaincre le muscle puissant du mollusque : il renonce à cette proie, il court à une autre, qui chemine, et la première poursuit sa marche doucement. Je n’ai jamais vu un crabe parvenir à son but, quoique j’aie observé durant des heures la retraite de cette fourmilière, se glissant en bas des deux esplanades et les marches qui les séparent.

Venise, 10 octobre 1786.

Je puis dire enfin que j’ai vu une comédie! On jouait aujourd’hui au théâtre Saint-Luc le Baruffe Chiozzotte, c’est-à-dire les Chamaillis de Chiozza. Les personnages sont tous des marins, habitants de l’endroit, leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles. Les criailleries ordinaires de ces gens, dans la joie ou la colère, leurs querelles, leurs vivacités, leur bonhomie, les platitudes, l’esprit, la gaieté, les libres manières, tout est rendu parfaitement. La pièce est encore de Goldoni : et comme j’avais été la veille dans cet endroit, que les manières et le langage des marins et des gens du port étaient encore présents