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admirable beauté, qu’on voit dans son Martyre de saint Pierre. Ce sont des génies qui se traînent avec les attributs des dieux. Ils sont en effet d’une beauté qui surpasse toute idée.

Ensuite j’ai observé avec un sentiment tout particulier, dans la cour d’un palais, la statue colossale et nue de Marcus Agrippa. Un dauphin, qui se dresse à son côté, annonce un illustre marin. Quand il est représenté avec ce caractère héroïque, l’homme est semblable aux dieux.

J’ai vu de près les chevaux de l’église de Saint-Marc. De bas en haut, on remarque aisément qu’ils sont tachetés, qu’ils sont en partie d’une belle couleur jaune, d’un éclat métallique, en partie vert de cuivre. De près, on voit et l’on apprend qu’ils étaient complètement dorés ; on voit qu’ils sont partout couverts de raies, parce que les barbares ne voulurent pas enlever l’or avec la lime mais avec le couteau. Passe pour cela : la forme du moins est restée. Quel magnifique attelage ! Je voudrais entendre sur cette œuvre un bon connaisseur en chevaux. Ce qui me semble étrange, c’est que, de près, ils paraissent lourds, et, de la place, légers comme des cerfs.

Ce matin, mon ange gardien m’a mené au Lido, langue de terre qui ferme les lagunes et les sépare de la mer. Nous avons débarqué, et nous avons traversé cette barrière. J’entendais un grand bruit : c’était la mer, et je la vis bientôt. Elle s’élançait contre le rivage en même temps qu’elle se retirait : c’était le milieu du reflux. J’ai donc vu la mer de mes yeux, et je l’ai suivie sur la belle plage qu’elle abandonne en se retirant. J’aurais bien voulu avoir les enfants à mes côtés, à cause des coquillages. Moi-même, comme un enfant, j’en ai ramassé une provision. Cependant j’ai mon dessein : je voudrais sécher un peu de la liqueur du calmar, qui s’écoule ici en si grande abondance.

Sur le Lido, non loin de la mer, est le cimetière des Anglais, et, plus loin, celui des juifs, ni les uns ni les autres ne pouvant reposer en terre bénite. J’ai trouvé le tombeau du noble consul Smith et celui de sa première femme. C’est à lui que je dois mon Palladio, et je lui en ai rendu grâce sur sa tombe profane. Et non-seulement elle est profane, mais elle est à moitié ensevelie. Le Lido n’est qu’une simple dune ; le sable y est amené