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quelques incongruités; mais n’importe; l’ensemble sera d’un grand style et tu travailleras avec plaisir. » C’est ainsi qu’il a produit l’idée sublime qu’il portait en lui où elle ne convenait pas entièrement, où il était contraint de la froisser et de la morceler en détail. En revanche, l’aile du couvent de la Charité est pour nous du plus haut prix, parce que l’artiste avait la main libre, et qu’il pouvait suivre absolument son génie. Si le couvent eût été achevé, peut-être n’y aurait-il pas dans le monde entier une œuvre architecturale plus parfaite. Je comprends toujours mieux son génie et son travail, à mesure que je lis ses ouvrages et que je considère comment il traite les anciens. Il est sobre de paroles, mais elles sont toutes de poids. Le quatrième livre, qui expose les temples antiques, est une excellente introduction pour apprendre à contempler avec intelligence les ruines antiques.

7 octobre 1786.

Hier au soir, j’ai vu, traduite s’entend, l’Electre de Crébillon au théâtre Saint-Chrysostome. Je ne puis dire combien j’ai trouvé la pièce absurde, et l’horrible ennui qu’elle m’a causé. Du reste les acteurs sont bons et ils savent repaître le public avec quelques passages. Pour sa part, Oreste, dans une seule scène, a trois récits différents tout chamarrés de poésie. Electre, jolie femme, ni trop grande ni trop forte, d’une vivacité presque française, avec beaucoup de bienséance, dit fort bien les vers ; mais, du commencement à la fin, elle se comporte follement, comme, par malheur, le rôle le demande. Cependant j’ai encore appris quelque chose : l’iambe italien, toujours de onze syllabes, a pour la déclamation un grand désavantage, parce que la dernière syllabe en est toujours brève, et qu’elle monte à l’aigu, contre la volonté du déclamateur.

J’ai été ce matin à la grand’messe, à laquelle le doge doit assister ce jour-là, chaque année, dans l’église de Sainte-Justine, en souvenir d’une victoire remportée autrefois sur les Turcs. Quand les barques dorées abordent à la petite place, amenant le prince et une partie de la noblesse; quand les bateliers, bizarrement vêtus, agitent leurs rames peintes en rouge; que le clergé et les confréries attendent sur la rive en masse flottante, tenant des cierges allumés sur des perches et des