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par une antiphonie. J’étais placé entre deux, à la porte de l’église, et cela produisait sur mon oreille un effet assez bizarre.

Venise, 5 octobre 1786.

J’ai visité ce matin l’arsenal, toujours assez intéressant pour moi, qui ne connais rien encore à la marine, et j’étais ici à la basse école : car, à vrai dire, on croit voir ici une ancienne famille, qui subsiste encore, mais qui a vu passer le plus beau temps des fleurs et des fruits. Comme j’aime aussi à observer les artisans, j’ai vu bien des choses remarquables, et je suis monté sur la carcasse, achevée, d’un vaisseau de quatre-vingt-quatre canons. J’ai vu mettre en œuvre les plus beaux chênes d’Istrie, et mes réflexions se sont portées sur la croissance de cet arbre précieux. Je ne puis assez dire combien la connaissance que j’ai péniblement acquise des produits naturels que l’homme emploie comme matériaux, et qu’il applique à son usage, m’est utile en toute occasion pour m’expliquer les procédés des artistes et des artisans. C’est ainsi que ma connaissance des montagnes et des pierres qu’on en tire m’a fort avancé dans la connaissance de l’art.

Pour tout dire en un mot sur le Bucentaure, je l’appellerai une galère de parade. L’ancien, dont nous avons toujours des images, justifie encore mieux cette dénomination que celui-ci, qui, par sa magnificence, nous aveugle sur son origine. J’en reviens toujours à mon thème : qu’on donne à l’artiste un beau sujet, et il pourra faire quelque chose de beau. On lui avait commandé cette fois de construire une galère qui fût digne de porter les chefs de la république dans le jour solennel où elle consacre son antique domination sur la mer, et cette tâche est parfaitement remplie. Le vaisseau est tout ornement : aussi ne peut-on pas dire qu’il soit surchargé d’ornements; c’est une ciselure toute dorée, mais sans aucun usage, un véritable ostensoir, pour montrer au peuple ses chefs dans toute leur magnificence. Nous savons comme le peuple aime à décorer son chapeau, à voir aussi ses oreilles bien parées. Ce vaisseau de parade est une véritable pièce d’inventaire, où l’on peut voir ce qu’étaient les Vénitiens et ce qu’ils se flattaient d’être.