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basse escabelle, et particulièrement le sablier qu’il avait placé devant lui. Tant que le scribe fait la lecture, le temps ne court pas : mais, si l’avocat veut parler, on lui mesure le temps. Le scribe lit, le sablier reste couché; le petit homme tient la main auprès : l’avocat ouvre-t-il la bouche, l’horloge se dresse aussitôt, pour se coucher dès qu’il fait silence. Le grand art est ici de jeter quelques paroles dans le flot de la lecture, de faire des observations rapides, d’attirer et de provoquer l’attention. Cela met le petit Saturne dans le plus grand embarras. Il est obligé de changer à tout moment la position horizontale ou verticale du sablier. Il se trouve dans le cas des malins esprits au théâtre des marionnettes, lorsque, troublés par les rapides breliques-breloques du malicieux Arlequin, ils ne savent plus quand ils doivent venir ou s’en aller.

Si l’on a entendu collationner dans les bureaux, on peut se faire une idée de cette lecture, rapide, monotone, mais pourtant articulée et assez distincte. L’ingénieux avocat sait faire trêve à l’ennui par des plaisanteries, et le public se divertit de ses bons mots avec des éclats de rire immodérés. Je rapporterai un des badinages les plus marquants que j’aie compris. Le secrétaire lisait un document par lequel un de ces possesseurs, estimés illégitimes, disposait des biens en litige. L’avocat lui commanda de lire plus lentement, et, lorsqu’il prononça distinctement les mots : je donne, je lègue, l’avocat s’élança vers lui et s’écria : « Que veux- tu donner, que veux-tu léguer, pauvre diable famélique ? Tu n’as rien à toi dans ce monde ! Mais, poursuivit-il, en paraissant se raviser, cet illustre possesseur était précisément dans le même cas : il voulait donner, il voulait léguer ce qui ne lui appartenait pas plus qu’à toi. » Ces mots provoquèrent de longs éclats de rire, mais le sablier reprit aussitôt la position horizontale. Le lecteur continua sa lecture bourdonnante, en faisant à l’avocat la grimace; mais tout cela est joué.

Venise, 4 octobre 1786, après minuit.

Je suis allé hier à la comédie, au théâtre Saint-Luc; j’ai eu beaucoup de plaisir. J’ai vu jouer en masque, avec beaucoup de naturel, d’énergie et de bravoure, une pièce improvisée. Tous les acteurs ne sont pas d’égal mérite : Pantalon fait très-