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main, dans la nouvelle carrière où il venait de faire une entrée si brillante.

Il avait eu, dès sa jeunesse, ce qu’on appelle des goûts aristocratiques. Si disposé qu’il fût i> communiquer avec tous les rangs de la société, à pénétrer dans toutes les conditions humaines, il avait laissé voir (en cela bien différent de son père) que l’air des cours ne lui faisait point de peur. H suivit donc son inclination naturelle en se rendant à Weimar. Et qui osera dire que ses instincts l’égarèrent, qu’il aurait fourni une carrière plus belle et plus féconde, s’il fût demeuré dans la condition bourgeoise, homme de lettres dans la pure acception du mot ? M. Lewes dit très-sensément que le Tasse, Iphigénic, Hermann et Dorothée, Faust, Williclm Mcister et tant d’autres ouvrages parlent éloquemment pour leur auteur, et le justifient du reproche inconsidéré d’avoir dissipé ses forces et perdu son temps à Weimar.

On parle des distractions de Weimar ; cependant il y trouva aussi de féconds et studieux loisirs. Le duc, empressé de satisfaire ses goûts pour le fixer auprès de sa personne, lui donna une charmante et modeste retraite, entourée de prairies que l’Ilm arrose, et qui, située aux portes de la ville, en était séparée par des ombrages touffus. Goethe fut si charmé de son Gartenhaus, qu’il y demeura sept ans, été et hiver, et lorsqu’on 1782 le prince lui donna la maison du Frauenplan, il ne put se résoudre à se défaire de son habitation champêtre ; il s’y retirait encore avec le même plaisir, fermant les portes des ponts qui menaient à la ville, si bien, dit \Vieland, qu’on ne pouvait pénétrer chez lui qu’avec des pinces et des crochets.

C’est là qu’il entretenait dans son âme les sentiments tendres et délicats en songeant ou en écrivant à sa chère baronne ; c’est là qu’il observait la nature et qu’il préparait ces travaux scientifiques qui font tant d’honneur à sa mémoire. Le duc y passait souvent de longues heures avec son ami, à discourir sur les sciences et la philosophie, et plus d’une fois il vint à l’improviste avec la duchesse y partager le frugal repas du poete.

Nous savons par ses Mémoires combien l’aspect des champs, le grand air, la vie sous le ciel étaient nécessaires à cet adorateur de la création. Il lui arriva de passer la nuit, couché dans le coin de son talcon, enveloppé dans son manteau, pour jouir des aspects du ciel chaque fois qu’il venait à se réveiller. Il prenait avec délices le plaisir du bain dans l’Ilm, et se livrait a l’exercice de la natation avec une ardeur qui fait souvenir de lord Byron.