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singulièrement sur mes gardes, car je trouve encore ici et, par malheur, à côté l’un de l’autre, ce que je fuis et ce que je cherche.

Vicence, 20 septembre 1786.

J’allai hier à l’Opéra. Le spectacle a duré jusqu’à minuit, et je sentais le besoin du repos. La pièce est faite de lambeaux cousus assez maladroitement, des Trois sultanes et de l’Enlèvement du sérail. On écoute la musique avec plaisir, mais elle est probablement d’un amateur : point d’idée nouvelle, qui m’ait frappé. En revanche, le ballet est délicieux. Le couple principal a dansé une allemande, la plus charmante qui se puisse voir. Le théâtre est neuf, gracieux et beau, d’une magnificence modeste, uniforme, et parfaitement convenable pour une ville de province. Toutes les loges sont tendues d’une tapisserie de même couleur : celle du capitaine ne se distingue que par une draperie un peu plus longue. La première chanteuse, très-aimée du public, est accueillie, à son entrée en scène, par des applaudissements extraordinaires, et les oiseaux font éclater des transports de joie, quand elle a bien rendu quelque chose, ce qui arrive très-souvent. C’est une personne naturelle, jolie, une belle voix, un visage agréable et un maintien très-honnête. Les mouvements de ses bras pourraient être plus gracieux. Cependant je n’y retournerai pas : je sens que je ne vaux plus rien pour être un oiseau.

Vicence, 21 septembre 1786.

Aujourd’hui j’ai fait visite au docteur Tura. Durant cinq années, il s’est occupé avec passion de botanique : il a formé un herbier de la flore italienne ; il a établi, sous le dernier évêque, un jardin botanique. Mais tout cela est abandonné; la pratique médicale a pris la place de l’histoire naturelle; l’herbier est mangé des vers; l’évêque est mort, et, comme de raison, le jardin botanique est planté d’oignons et de choux. Le docteur Tura est un homme plein de bonté et de finesse. Il m’a conté son histoire avec franchise, avec candeur et modestie. Il s’est exprimé en général d’une manière fort précise et fort obligeante, mais il ne s’est pas soucié d’ouvrir ses armoires, qui peut-être n’étaient pas dans un état présentable. La conversation n’a pas tardé à languir.