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tout est bel et bon; l’homme de moyenne condition vit de même au jour le jour; le riche, le noble, s’enferme dans sa demeure, qui n’est pas non plus aussi logeable que dans le Nord. Leurs assemblées se tiennent dans des lieux publics. Les vestibules et les colonnades sont tous souillés d’ordures, et c’est tout naturel. Le peuple se sent toujours : le riche peut être riche, bâtir des palais; le noble peut gouverner, mais, s’il construit une colonnade, un vestibule, le peuple s’en sert pour ses besoins, et il n’en a point de plus pressant que de se soulager aussi promptement que possible de ce qu’il a pris aussi abondamment que possible. Si quelqu’un ne le veut pas souffrir, il ne doit pas se donner les airs d’un grand seigneur, c’est-à-dire agir comme si une partie de sa demeure appartenait au public; il ferme sa porte et tout est dit. Mais le peuple ne se laisse pas ravir son droit sur les édifices publics, et c’est ce dont les étrangers se plaignent par toute l’Italie.

J’observais aujourd’hui dans différentes rues l’équipage et les manières de la classe moyenne, qui se montre fort empressée et agissante : tous brandillent les bras en marchant. Les gens d’une condition plus relevée, qui, dans certaines occasions, portent l’épée, ne balancent qu’un bras, parce qu’ils sont accoutumés à tenir fixe le gauche.

Quoique le peuple s’occupe très-négligemment de ses affaires et de ses besoins, il a toujours l’œil ouvert sur les étrangers. Je pus observer, par exemple, les premiers jours, que chacun remarquait mes bottes, car on n’en porte pas ici, même en hiver, à cause de leur prix élevé. Depuis que je porte des souliers, personne ne me regarde plus. Mais je fus surpris ce matin, de ce qu’au milieu des allants et venants, qui portaient tous des fleurs, des légumes, des oignons et cent autres produits du marché, on n’a pas manqué d’observer la branche de cyprès que je portais à la main. Quelques cônes verts y adhéraient encore, et je tenais aussi quelques tiges de câpres fleuries. Tous, grands et petits, regardaient mon bouquet, et semblaient se faire de singulières idées. J’apportais ces rameaux du jardin Giusti. Ce jardin est admirablement situé et possède des cyprès énormes, qui dressent tous dans l’air leurs cimes aiguës. Probablement les ifs qu’on taille en pointe dans les jardins du Nord sont des