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Vérone, 14 septembre 1786.

Le vent contraire, qui me poussa hier dans le port de Malsesine, me préparait une dangereuse aventure, que j’ai affrontée gaiement et dont le souvenir me semble drôle. Comme je me l’étais proposé, je me rendis le matin, de bonne heure, au vieux, château, qui, n’ayant ni porte ni garde, est ouvert à tout le monde. Je nie plaçai dans la cour, vis-à-vis de la vieille tour, bâtie sur le rocher et dans le rocher. J’avais trouvé là une petite place très-commode pour dessiner, à côté d’une porte fermée, élevée de trois ou quatre marches, un petit siège de pierre orné dans le pied-droit de la porte, comme on en voit encore chez nous dans de vieux édifices. Je fus à peine établi, que diverses personnes entrèrent dans la cour. Elles m’observent, elles vont et viennent ; la foule augmente, puis elle demeure et finit par m’entourer. Je voyais bien que mon travail avait éveillé leur attention, mais je ne me laissai pas troubler, et je continuai tranquillement. Enfin un homme d’assez mauvaise mine s’avance vers moi et me demande ce que je fais là. Je lui réponds que je dessine la vieille tour, pour conserver un souvenir de Malsesine. Là-dessus, il me dit que cela n’est pas permis et que je dois cesser. Comme il me disait cela dans la langue populaire de Venise, que j’entendais à peine, je lui répondis que je ne le comprenais pas. Sur quoi, avec un véritable flegme italien, il prit ma feuille et la déchira, en la laissant toutefois sur le carton. Je pus remarquer aussitôt parmi les assistants un murmure de mécontentement ; une vieille femme dit que ce n’était pas bien, qu’il fallait appeler le podestat, qui savait juger ces sortes de choses. J’étais debout sur mes degrés, le dos appuyé contre la porte, et je dominais la foule, qui augmentait sans cesse. Ces regards curieux et fixes, l’air de bonhomie de la plupart des figures, et tout ce qui peut caractériser une multitude étrangère, me faisaient l’impression la plus gaie. Je croyais voir devant moi le chœur des oiseaux ’ que j’avais souvent mystifié familièrement sur le théâtre d’Ettersbourg.