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sur des rochers, les tumulus (1)[1], les momies indiquent une culture intellectuelle avancée. Mais rien ne prouve qu’entre cette mystérieuse nation et les peuplades errant aujourd’hui sur ses tombes, il y ait une parenté bien proche. Dans tous les cas, si, par suite d’un lien naturel quelconque, ou d’une initiation d’esclaves, les aborigènes actuels tiennent des anciens maîtres du pays la première notion de ces arts qu’ils pratiquent à l’état élémentaire, on ne pourrait qu’être frappé davantage de l’impossibilité où ils se sont trouvés de perfectionner ce qu’on leur avait appris, et je verrais là un motif de plus pour rester persuadé que le premier peuple venu, placé dans les circonstances géographiques les plus favorables, n’est pas destiné par cela même à se civiliser.

Au contraire, il y a, entre l’aptitude d’un climat et d’un pays à servir les besoins de l’homme et le fait même de la civilisation, une indépendance complète. L’Inde est une contrée

  1. (1) La construction très particulière de ces tumulus, et les nombreux ustensiles et instruments qu'ils recèlent, occupent beaucoup, en ce moment, la perspicacité et le talent des antiquaires américains. J'aurai occasion, dans le quatrième volume de cet ouvrage, d'exprimer une opinion sur la valeur de ces reliques, au point de vue de la civilisation ; pour le moment, je me bornerai à en dire que leur excessive antiquité est impossible à révoquer en doute. M. Squier est parfaitement fondé à en trouver une preuve dans ce fait seul, que les squelettes découverts dans les tumulus tombent en poussière au moindre contact de l'air, bien que les conditions, quant à la qualité du sol, soient des meilleures, tandis que les corps enterrés sous les cromlechs bretons, et qui ont au moins 1 800 ans de sépulture, sont parfaitement solides. On peut donc concevoir aisément qu'entre ces très anciens possesseurs du sol de l'Amérique et les tribus Lenni-Lénapés et autres, il n'y ait pas de rapports. Avant de clore cette note, je ne puis me dispenser de louer l'industrieuse habileté que déploient les savants américains dans l'étude des antiquités de leur grand continent. Fort embarrassés par l'excessive fragilité des crânes exhumés, ils ont imaginé, après plusieurs autres essais infructueux, de couler dans les cadavres, avec des précautions inouïes, une préparation bitumineuse qui, en se solidifiant aussitôt, préserve les ossements de la dissolution. Il paraît que ce procédé, fort délicat à employer et qui demande autant d'adresse que de promptitude, obtient généralement un entier succès.