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On ne peut donc admettre que les institutions fassent les peuples ce qu’on les voit, quand ce sont les peuples qui les ont inventées. Mais en est-il de même dans la seconde hypothèse, c’est-à-dire lorsqu’une nation reçoit son code de mains étrangères pourvues de la puissance nécessaire pour le lui faire accepter, bon gré mal gré ?

Il y a des exemples de pareilles tentatives. Je n’en trouverai pas, à la vérité, qui aient été exécutées sur une grande échelle par les gouvernements vraiment politiques de l’antiquité ou des temps modernes ; leur sagesse ne s’est jamais appliquée à transformer le fond même de grandes multitudes. Les Romains étaient trop habiles pour se livrer à d’aussi dangereuses expériences. Alexandre, avant eux, ne les avait pas essayées ; et convaincus, par l’instinct ou la raison, de l’inanité de pareils efforts, les successeurs d’Auguste se contentèrent, comme le vainqueur de Darius, de régner sur une vaste mosaïque de peuples qui tous conservaient leurs habitudes, leurs mœurs, leurs lois, leurs procédés propres d’administration et de gouvernement, et qui, pour la plupart, tant que du moins ils restèrent par la race assez identiques à eux-mêmes, n’acceptèrent, en commun avec leurs co-sujets, que des prescriptions de fiscalité ou de précaution militaire.

Toutefois il est une circonstance qu’il ne faut pas négliger. Plusieurs des peuples asservis aux Romains avaient, dans leurs codes, des points tellement en désaccord avec les sentiments de leurs maîtres, qu’il était impossible à ces derniers d’en tolérer l’existence : témoins les sacrifices humains des druides, qu’en effet poursuivirent les défenses les plus sévères. Eh bien, les Romains, avec toute leur puissance, ne réussirent jamais complètement à extirper des rites aussi barbares. Dans la Narbonnaise, la victoire fut facile : la population gallique avait été presque entièrement remplacée par des colons romains ; mais, dans le centre, chez les tribus plus intactes, la résistance s’obstina, et, dans la presqu’île bretonne, où, au quatrième siècle, une colonie rapporta d’Angleterre les vieilles mœurs avec le vieux sang, les peuplades persistèrent, par patriotisme, par attachement à leurs traditions, à égorger des hommes sur