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son but, et même, jusqu’à un certain point, échauffent ses instincts, et lui mettent à la main les meilleurs instruments d’action ; mais elles ne créent pas leur créateur, et, pouvant servir puissamment ses succès en l’aidant à développer ses qualités innées, elles ne sauraient jamais qu’échouer misérablement quand elles prétendent trop agrandir le cercle ou le changer. En un mot, elles ne peuvent pas l’impossible.

Les institutions fausses et leurs effets ont cependant joué un grand rôle dans le monde. Quand Charles 1er, fâcheusement conseillé par le comte de Strafford, voulait plier les Anglais au gouvernement absolu, le roi et son ministre marchaient sur le terrain fangeux et sanglant des théories. Quand les calvinistes rêvaient chez nous une administration tout à la fois aristocratique et républicaine, et travaillaient à l’implanter par les armes, ils se mettaient également à côté du vrai.

Quand le régent prétendit donner gain de cause aux courtisans vaincus en 1652, et essayer du gouvernement d’intrigue qu’avaient souhaité le coadjuteur et ses amis[1], ses efforts ne plurent à personne, et blessèrent également noblesse, clergé, parlement et tiers état. Quelques traitants seuls se réjouirent. Mais, lorsque Ferdinand le Catholique institua contre les Maures d’Espagne ses terribles et nécessaires moyens de destruction ; lorsque Napoléon rétablit en France la religion, flatta l’esprit militaire, organisa le pouvoir d’une manière à la fois protectrice et restrictive, l’un et l’autre de ces potentats avaient bien écouté et bien compris le génie de leurs sujets, et ils bâtissaient sur le terrain pratique. En un mot, les fausses institutions, très belles souvent sur le papier, sont celles qui, n’étant pas conformes aux qualités et aux travers nationaux, ne conviennent pas à un État, bien que pouvant faire fortune

  1. M. le comte de Saint-Priest, dans un excellent article de la Revue des Deux Mondes, a très justement démontré que le parti écrasé par le cardinal de Richelieu n'avait rien de commun avec la féodalité ni avec les grands systèmes aristocratiques. MM. de Montmorency, de Cinq-Mars, de Marillac, ne cherchaient à bouleverser l'État que pour obtenir des honneurs et des faveurs. Le grand cardinal est tout à fait innocent du meurtre de la noblesse française, qu'on lui a tant reproché.