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du Russe ? Je n’ai pas à me prononcer sur l’exactitude des jugements. Je note seulement qu’ils existent, et que l’opinion courante les adopte, Ainsi donc, si, d’une part, les familles humaines sont dites égales, et que, de l’autre, les unes soient frivoles, les autres posées ; celles-ci âpres au gain, celles-là à la dépense ; quelques-unes énergiquement amoureuses des combats, plusieurs économes de leurs peines et de leurs vies, il tombe sous le sens que ces nations si différentes doivent avoir des destinées bien diverses, bien dissemblables, tranchons le mot, bien inégales. Les plus fortes joueront dans la tragédie du monde les personnages des rois et des maîtres. Les plus faibles se contenteront des bas emplois.

Je ne crois pas qu’on ait fait de nos jours le rapprochement entre les idées généralement admises sur l’existence d’un caractère spécial pour chaque peuple et la conviction non moins répandue que tous les peuples sont égaux. Cependant cette contradiction frappe bien fort ; elle est flagrante, et d’autant plus grave que les partisans de la démocratie ne sont pas les derniers à célébrer la supériorité des Saxons de l’Amérique du Nord sur toutes les nations du même continent. Ils attribuent, à la vérité, les hautes prérogatives de leurs favoris à la seule influence de la forme gouvernementale. Toutefois ils ne nient pas, que je sache, la disposition particulière et native des compatriotes de Penn et de Washington à établir dans tous les lieux de leur séjour des institutions libérales, et, ce qui est plus, à les savoir conserver. Cette force de persistance n’est-elle pas, je le demande, une bien grande prérogative départie à cette branche de la famille humaine, prérogative d’autant plus précieuse que la plupart des groupes qui ont peuplé jadis ou peuplent encore l’univers semblent en être privés ?

Je n’ai pas la prétention de jouir sans combat de la vue de cette inconséquence. C’est ici, sans doute, que les partisans de l’égalité objecteront bien haut la puissance des institutions et des mœurs ; c’est ici qu’ils diront, encore une fois, combien l’essence du gouvernement par sa seule et propre vertu, combien le fait du despotisme ou de la liberté, influent puissamment