Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’échelle civilisatrice, l’ont pourtant traversé, on ne peut pas dire avec vérité que ce soit là une règle générale ; il semblerait, au contraire, que l’espèce humaine éprouve une assez grande difficulté à s’élever au-dessus de l’organisation parcellaire, et que c’est seulement pour des groupes spécialement doués qu’a lieu le passage à une situation plus complexe. J’invoquerai, en témoignage, l’état actuel d’un grand nombre de groupes répandus dans toutes les parties du monde. Ces tribus grossières, surtout celles des nègres pélagiens de la Polynésie, les Samoyèdes et autres familles du monde boréal et la plus grande partie des nègres africains, n’ont, jamais pu sortir de cette impuissance, et vivent juxtaposées les unes aux autres et en rapports de complète indépendance. Les plus forts massacrent les plus faibles, les plus faibles cherchent à mettre une distance aussi grande que possible entre eux et les plus forts ; là se borne toute la politique de ces embryons de sociétés qui se perpétuent depuis le commencement de l’espèce humaine, dans un état si imparfait, sans avoir jamais pu mieux faire. On objectera que ces misérables hordes forment la moindre partie de la population du globe ; sans doute, mais il faut tenir compte de toutes leurs pareilles qui ont existé et disparu. Le nombre en est incalculable, et il compose certainement la grande majorité des races pures dans les variétés jaune et noire.

Si donc il faut admettre que, pour un nombre très important d’humains, il a été impossible et l’est à jamais de faire même le premier pas vers la civilisation ; si, en outre, nous considérons que ces peuplades se trouvent dispersées sur la face entière du monde, dans les conditions de lieux et de climats les plus diverses, habitant indifféremment les pays glacés, tempérés, torrides, le bord des mers, des lacs et des rivières, le fond des bois, les prairies herbeuses, ou les déserts arides, nous sommes induits à conclure qu’une partie de l’humanité est, en elle-même, atteinte d’impuissance à se civiliser jamais, même au premier degré, puisqu’elle est inhabile à vaincre les répugnances naturelles que l’homme, comme les animaux, éprouve pour le croisement.

Nous laissons donc ces tribus insociables de côté, et nous