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d’autres sectaires ; et, à une époque un peu plus éloignée, l’Italie souffrit tellement par le partage d’une autorité tiraillée entre l’empereur, le pape, les nobles et les communes, que les masses, ne sachant à qui obéir, finirent souvent par ne plus obéir à personne. La société italienne est-elle morte alors ? Non. Sa civilisation ne fut jamais plus brillante, son industrie plus productive, son influence au dehors plus incontestée.

Et je veux bien croire que parfois, au milieu de ces orages, un pouvoir sage et régulier, semblable à un rayon de soleil, se fit jour quelque temps pour le plus grand bien des peuples ; mais c’était une fortune courte, et, de même que la situation contraire ne donnait pas la mort, l’exception, pas davantage, ne donnait la vie. Pour parvenir à un tel résultat, il s’en manqua de tout que les époques prospères aient été fréquentes et de durée assez longue. Et si les règnes judicieux furent alors clairsemés, il en fut en tout temps de même. Pour les meilleurs même, que de contestations et que d’ombres aux plus heureux tableaux ! Tous les auteurs regardent-ils également le temps du roi Guillaume d’Orange comme une ère de prospérité pour l’Angleterre ? Tous admirent-ils Louis XIV, le Grand, sans nulle réserve ? Au contraire. Les détracteurs ne manquent pas, et les reproches savent où se prendre ; c’est cependant, à peu près, ce que nos voisins et nous avons, soit de mieux ordonné, soit de plus fécond, dans le passé. Les bons gouvernements se distribuent d’une manière si parcimonieuse au milieu du cours des temps, et, lorsqu’ils se produisent, sont tellement contestables encore ; cette science de la politique, la plus haute, la plus épineuse de toutes, est si disproportionnée à la faiblesse de l’homme, qu’on ne peut pas prétendre, en bonne foi, que, pour être mal conduits, les peuples périssent. Grâce au ciel, ils ont de quoi s’habituer de bonne heure à ce mal, qui, même dans sa plus grande intensité, est préférable, de mille façons, à l’anarchie ; et C’est un fait avéré, et que la plus mince étude de l’histoire suffira à démontrer, que le gouvernement, si mauvais soit-il, entre les mains duquel un peuple expire, est souvent meilleur que telle des administrations qui le précédèrent.