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peine. Le seizième siècle, malgré ses folies sanglantes, conséquences adoucies de l’âge précédent, fut beaucoup plus honorable que son prédécesseur ; et, pour l’humanité, la Saint-Barthélemy n’est pas ignominieuse comme le massacre des Armagnacs. Enfin, de ce temps à demi corrigé, la société française passa aux lumières vives et pures de l’âge des Fénelon, des Bossuet et des Montausier. Ainsi, jusqu’à Louis XIV, notre histoire présente des successions rapides du bien au mal, et la vitalité propre à la nation reste en dehors de l’état de ses mœurs. J’ai tracé en courant les plus grandes différences ; celles de détail abondent ; il faudrait bien des pages pour les relever ; mais, à ne parler que de ce que nous avons presque vu de nos yeux, ne sait on pas que tous les dix ans, depuis 1787, le niveau de la moralité a énormément varié ? Je conclus que, la corruption des mœurs étant, en définitive, un fait transitoire et flottant, qui tantôt s’empire et tantôt s’améliore, on ne saurait la considérer comme une cause nécessaire et déterminante de ruine pour les États.

Ici je me trouve amené à examiner un argument d’espèce contemporaine qu’il n’entrait pas dans les idées du dix-huitième siècle de faire valoir ; mais, comme il s’enchaîne à merveille avec la décadence des mœurs, je ne crois pas pouvoir en parler plus à propos. Plusieurs personnes sont portées à penser que la fin d’une société est imminente quand les idées religieuses tendent à s’affaiblir et à disparaître. On observe une sorte de corrélation à Athènes et à Rome entre la profession publique des doctrines de Zénon et d’Épicure, l’abandon des cultes nationaux qui s’en est suivi, dit-on, et la fin des deux républiques. On néglige d’ailleurs de remarquer que ces deux exemples sont à peu près les seuls que l’on puisse citer d’un pareil synchronisme ; que l’empire des Perses était fort dévot au culte des mages lorsqu’il est tombé ; que Tyr, Carthage, la Judée, les monarchies aztèque et péruvienne ont été frappées de mort en embrassant leurs autels avec beaucoup d’amour, et que par conséquent il est impossible de prétendre que tous les peuples qui voient se détruire leur nationalité expient par ce fait un abandon du culte de leurs pères. Mais ce n’est pas tout : dans