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libre circulation des marchandises et la rentrée des impôts ; rien de plus.

Un pareil état de choses, tout convenable qu’il peut être, ne saurait jamais se prolonger longtemps. Trente mille hommes pour en dominer trois cents millions, c’est trop peu, surtout quand ces trois cents millions sont aussi compacts de sentiments et d’instincts, de besoins et de répugnances. L’audacieux général aurait fini par augmenter ses forces et les aurait portées à un chiffre mieux proportionné à l’immensité de l’océan populaire dont sa volonté aurait voulu contenir les orages. Ici je commence une sorte d’utopie.

Si je continue à supposer lord Clive simple et fidèle représentant de la mère patrie, il apparaît toujours, malgré l’augmentation indéfinie de son armée, fort isolé, fort menacé, et, un jour, lui-même ou ses descendants seront expulsés de ces provinces qui reçoivent tous les vainqueurs en intrus. Mais changeons d’hypothèse : laissons-nous aller au soupçon qui fit repousser, dit-on, par les directeurs de la Compagnie des Indes, les somptueuses propositions du gouverneur général. Imaginons que lord Clive, sujet peu loyal de la couronne d’Angleterre, veut régner pour son compte, repousse l’allégeance de la métropole et s’installe, véritable empereur de la Chine, au milieu des populations soumises par son épée. Alors les choses peuvent se passer bien différemment que dans le premier cas.

Si ses soldats sont tous de race européenne ou si un grand nombre de cipayes hindous ou musulmans sont mêlés aux Anglais, l’élément immigrant s’en ressentira, de toute nécessité, dans la mesure de sa vigueur. À la première génération, le chef et l’armée étrangère, fort exposés à être mis dehors, auront encore entière leur énergie de race pour se défendre et sauront traverser, sans trop d’encombre, ces moments dangereux. Ils s’occuperont à faire entrer de force leurs notions nouvelles dans le gouvernement et dans l’administration. Européens, ils s’indigneront de la médiocrité prétentieuse de tout le système, de la pédanterie creuse de la science locale, de la lâcheté créée par de mauvaises institutions militaires. Ils feront