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certains États, loin de mourir de leur perversité, en ont vécu ; mais on peut aller même au delà, et démontrer que l’abaissement moral n’est pas nécessairement mortel, car, parmi les maladies qui affectent les sociétés, il a cet avantage de pouvoir se guérir, et quelquefois assez vite.

En effet, les mœurs particulières d’un peuple présentent de très fréquentes ondulations suivant les périodes que l’histoire de ce peuple traverse. Pour ne s’adresser qu’à nous, Français, constatons que les Gallo-Romains des cinquième et sixième siècles, race soumise, valaient certainement mieux que leurs héroïques vainqueurs, à tous les points de vue que la morale embrasse ; ils n’étaient même pas toujours, individuellement pris, leurs inférieurs en courage et en vertu militaire[1]. Il semblerait que, dans les âges qui suivirent, lorsque les deux races eurent commencé à se mêler, tout s’empira, et que, vers le huitième et le neuvième siècle, le territoire national ne présentait pas un tableau dont nous ayons à tirer grande vanité. Mais aux onzième, douzième et treizième siècles, le spectacle s’était totalement transformé, et, tandis que la société avait réussi à amalgamer ses éléments les plus discords, l’état des mœurs était généralement digne de respect ; il n’y avait pas, dans les notions de ce temps, de ces ambages qui éloignent du bien celui qui veut y parvenir. Le quatorzième et le quinzième siècles furent de déplorables moments de perversité et de conflits ; le brigandage prédomina ; ce fut de mille façons, et dans le sens le plus étendu et le plus rigoureux du mot, une période de décadence ; on eût dit qu’en face des débauches, des massacres, des tyrannies, de l’affaiblissement complet de tout sentiment honnête dans les nobles qui volaient leurs vilains, dans les bourgeois qui vendaient la patrie à l’Angleterre, dans un clergé sans régularité, dans tous les ordres enfin, la société entière allait s’écrouler, et sous ses ruines engloutir et cacher tant de hontes. La société ne s’écroula pas, elle continua de vivre, elle s’ingénia, elle combattit, elle sortit de

  1. Augustin Thierry, Récits des temps mérovingiens. Voir, entre autres, l'histoire de Mummolus.