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dans cette branche de la science hindoue qui porte le nom de philosophie sankhya. Deux brahmanes, Patandjali et Kapila, avaient enseigné que les œuvres ordonnées par les Védas étaient inutiles de soi au perfectionnement des créatures, et que, pour arriver aux existences supérieures, il suffisait de la pratique d’un ascétisme individuel et arbitraire. Par cette doctrine, on était mis en droit, sans inconvénient pour l’avenir du tombeau, de mépriser tout ce que le brahmanisme recommandait et de faire ce qu’il prohibait (1)[1].

Une telle théorie pouvait renverser la société. Cependant, comme elle ne se présentait que sous une forme purement scientifique et ne se communiquait que dans les écoles, elle resta matière à discussion pour les érudits et ne descendit pas dans la politique. Mais, soit que les idées qui lui avaient donné naissance fussent quelque chose de plus que la découverte accidentelle d’un esprit chercheur, ou bien que des hommes très pratiques en aient eu connaissance, il se trouva qu’un jeune prince, de la plus illustre origine, appartenant à une branche de la race solaire, Sakya, fils de Çuddodhana, roi de Kapilavastu, entreprit d’initier les populations à ce que cette doctrine avait de libéral.

Il se mit à enseigner, comme Kapila, que les œuvres védiques étaient sans valeur ; il ajouta que ce n’était ni par les lectures liturgiques, ni par les austérités et les supplices, ni par le respect des classifications, qu’il était possible de s’affranchir des entraves de l’existence actuelle ; que, pour cela, il ne fallait avoir recours qu’à l’observance des lois morales, dans lesquelles on était d’autant plus parfait qu’on s’occupait moins de soi et plus d’autrui. Comme vertus supérieures et d’une efficacité incomparable, il proclama la libéralité, la continence, la science, l’énergie, la patience et la miséricorde. Il acceptait, du reste, en fait de théologie et de cosmogonie, tout ce que le brahmanisme savait, hors un dernier point, sur lequel il avait la prétention de promettre beaucoup plus que la loi régulière.

  1. (1) Burnouf, Introduction à l'hist. du bouddh., etc., t. I, p. 152 et passim et 211.