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établissant les catégories dans lesquelles elle divisait l’humanité, elle se faisait fort de se servir de chacune pour perfectionner l’homme, et l’envoyer, à travers le redoutable passage dont l’agonie est la porte, soit à une destinée supérieure, s’il avait bien vécu, soit, dans le cas contraire, à un état dont l’infériorité donnait du temps au repentir. Et quelle n’est pas la puissance de cette conception sur l’esprit du croyant, puisque aujourd’hui même l’Hindou des castes les plus viles, soutenu, presque enorgueilli par l’espérance de renaître à un rang meilleur, méprise le maître européen qui le paye, ou le musulman qui le frappe, avec autant d’amertume et de sincérité que peut le faire un kschattrya ?

La mort et le jugement d’outre-tombe sont donc les grands points de la vie d’un Hindou, et on peut dire, à l’indifférence avec laquelle il porte communément l’existence présente, qu’il n’existe que pour mourir. Il y a là des similitudes évidentes avec cet esprit sépulcral de l’Égypte, tout porté vers la vie future, la devinant et, en quelque façon, l’arrangeant à l’avance. Le parallèle est facile, ou mieux, les deux ordres d’idées se coupent à angle droit et partent d’un sommet commun. Ce dédain de l’existence, cette foi solide et délibérée dans les promesses religieuses, donnent à l’histoire d’une nation une logique, une fermeté, une indépendance, une sublimité que rien n’égale. Quand l’homme vit à la fois, par la pensée, dans les deux mondes, et, en embrassant de l’œil et de l’esprit ce que les horizons du tombeau ont de plus sombre pour l’incrédule, les illumine d’éclatantes espérances, il est peu retenu par les craintes ordinaires aux sociétés rationalistes, et, dans la poursuite des affaires d’ici-bas, il ne compte plus parmi les obstacles la crainte d’un trépas qui n’est qu’un passage d’habitude. Le plus illustre moment des civilisations humaines est celui où la vie n’est pas encore cotée si haut qu’on ne place, avant le besoin de la conserver, bien d’autres soucis plus utiles aux individus. D’où dépend cette disposition heureuse ? Nous la verrons toujours et partout corrélative à la plus ou moins grande abondance de sang arian dans les veines d’un peuple.

La théologie et les recherches métaphysiques furent donc