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le plus grand nombre des cas, on peut légitimement considérer l’opinion des anciens temps comme incomplète, insuffisamment éclairée, et reconnaître, contrairement au côté où elle penche, que, puisque la sévérité céleste s’exerce sur nos sociétés constamment et par suite d’une décision antérieure à l’établissement du premier peuple, l’arrêt s’exécute d’une manière prévue, normale et en vertu de prescriptions définitivement inscrites au code de l’univers, à côté des autres lois qui, dans leur imperturbable régularité, gouvernent la nature animée tout comme le monde inorganique.

Si l’on est en droit de reprocher justement à la philosophie sacrée des premiers temps de s’être, dans son défaut d’expérience, bornée, pour expliquer un mystère, à l’exposition d’une vérité théologique indubitable, mais qui elle-même est un autre mystère, et de n’avoir pas poussé ses recherches jusqu’à l’observation des faits tombant sous le domaine de la raison, du moins ne peut-on pas l’accuser d’avoir méconnu la grandeur du problème en cherchant des solutions au ras de terre. Pour bien dire, elle s’est contentée de poser noblement la question, et, si elle ne l’a point résolue ni même éclaircie, du moins n’en a-t-elle pas fait un thème d’erreurs. C’est en cela qu’elle se place bien au-dessus des travaux fournis par les écoles rationalistes.

Les beaux esprits d’Athènes et de Rome ont établi cette doctrine acceptée jusqu’à nos jours, que les États, les peuples, les civilisations ne périssent que par le luxe, la mollesse, la mauvaise administration, la corruption des mœurs, le fanatisme. Toutes ces causes, soit réunies, soit isolées, furent déclarées responsables de la fin des sociétés ; et la conséquence nécessaire de cette opinion, c’est que là où elles n’agissent point, aucune force dissolvante ne doit exister non plus. Le résultat final, c’est d’établir que les sociétés ne meurent que de mort violente, plus heureuses en cela que les hommes, et que, sauf à éluder les causes de destruction que je viens d’énumérer, on peut parfaitement se figurer une nationalité aussi durable que le globe lui-même. En inventant cette thèse, les anciens n’en apercevaient nullement la portée ; ils n’y voyaient