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L’histoire du Malabar nous a conservé la date, sinon de la lutte en elle-même, du moins d’un de ses épisodes qui fut certainement parmi les principaux. Les annales de ce pays racontent qu’une grande querelle s’émut entre les kschattryas et les sages dans le nord de l’Inde, que tous les guerriers furent exterminés, et que les vainqueurs, conduits par Paraçou Rama, célèbre brahmane qu’il ne faut pas confondre avec le héros du Ramayana, vinrent, après leurs triomphes, s’établir sur la côte méridionale, et y constituèrent un État républicain. La date de cet événement, qui fournit le commencement de l’ère malabare, est l’an 1176 av. J.-C. (1)[1].

Dans ce récit, il entre un peu de forfanterie. Généralement l’usage des plus forts n’est pas d’abandonner le champ de bataille, et surtout quand le vaincu est anéanti. Il est donc vraisemblable que, tout au rebours de ce que prétend leur chronique, les brahmanes furent battus et forcés de s’expatrier, et qu’en haine de la caste royale dont ils avaient dû subir l’insulte, ils adoptèrent la forme gouvernementale qui ne reconnaît pas l’unité du souverain.

Cette défaite ne fut, d’ailleurs, qu’un épisode de la guerre, et il y eut plus d’une rencontre où les brahmanes n’obtinrent pas l’avantage. Tout indique aussi que leurs adversaires, Arians presque autant qu’eux, ne se montrèrent pas dénués d’habileté, et qu’ils ne mirent pas dans la puissance de leurs épées une confiance tellement absolue, qu’ils n’aient cru nécessaire d’aiguiser encore des armes moins matérielles. Les kschattryas se placèrent très adroitement au sein même des ressources de l’ennemi, dans la citadelle théologique, soit afin d’émousser l’influence des brahmanes sur les vayçias, les çoudras et les indigènes, soit pour calmer leur propre conscience et éviter à leur entreprise un caractère d’impiété qui l’aurait rendue promptement odieuse à l’esprit profondément religieux de la nation.

On a vu que, pendant le séjour dans la Sogdiane et plus tard, l’ensemble des tribus zoroastriennes et hindoues professait

  1. (1) Lassen, ouvr. cité, t. I, p. 537.