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ici, bien qu’elle interrompe, ou peut-être parce qu’elle interrompt des considérations un peu longues et assez arides.

Il existait, dans des temps très anciens, à Tchampa, un brahmane. Ce brahmane eut une fille, et il demanda aux astrologues quel avenir était réservé à l’objet de son inquiète tendresse. Ceux-ci, ayant consulté les astres, reconnurent, à l’unanimité, que la petite brahmani serait un jour mère de deux enfants, dont l’un deviendrait un saint illustre et l’autre un grand souverain. Le père fut transporté de joie à cette nouvelle, et aussitôt que la jeune fille se trouva nubile, remarquant avec orgueil comme elle était douée d’une beauté parfaite, il voulut concourir à l’accomplissement du destin, peut-être le hâter, et il s’en alla offrir son enfant à Bandusara, roi de Pataliputhra, monarque renommé pour ses richesses et sa puissance.

Le don fut accepté, et la nouvelle épouse conduite dans le gynécée royal. Ses grâces y firent trop de sensation. Les autres épouses du kschattrya la jugèrent tellement dangereuse, qu’elles appréhendèrent d’être remplacées dans le cœur du roi, et se mirent à chercher une ruse qui, tout aussi bien qu’une violence impossible, les pût débarrasser de leurs craintes, en écartant leur rivale. La belle brahmani était, comme je l’ai dit, fort jeune, et, probablement, sans beaucoup de malice. Les conjurées surent lui persuader que, pour plaire à son mari, il lui fallait apprendre à le raser, à le parfumer et à lui couper les cheveux. Elle avait tout le désir imaginable d’être une épouse soumise : elle obéit donc promptement à ces perfides conseils, de sorte que la première fois que Bandusara la fit appeler, elle se présenta devant lui une aiguière d’une main et portant, dans l’autre, tout l’appareil de la profession qu’elle venait d’apprendre.

Le monarque, qui, sans doute, se perdait un peu dans le nombre de ses femmes et avait en tête des préoccupations de toute nature, oublia les tendres mouvements dont il était agité un moment auparavant, tendit le cou et se laissa parer. Il fut ravi de l’adresse et de la grâce de sa servante, et tellement que le lendemain il la demanda encore. Nouvelle cérémonie, nouvel