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Grèce, Rome, dans des conflits de circonstances qui ne se ressemblaient pas. Toutefois, en creusant plus loin que l’écorce, on trouve bientôt, dans cette nécessité même de finir qui pèse impérieusement sur toutes les sociétés sans exception, l’existence irrécusable, bien que latente, d’une cause générale, et, partant de ce principe certain de mort naturelle indépendant de tous les cas de mort violente, on s’aperçoit que toutes les civilisations, après avoir duré quelque peu, accusent à l’observation des troubles intimes, difficiles à définir, mais non moins difficiles à nier, qui portent dans tous les lieux et dans tous les temps un caractère analogue ; enfin, en relevant une différence évidente entre la ruine des États et celle des civilisations, en voyant la même espèce de culture tantôt persister dans un pays sous une domination étrangère, braver les événements les plus calamiteux, et tantôt, au contraire, en présence de malheurs médiocres, disparaître ou se transformer, on s’arrête de plus en plus à cette idée, que le principe de mort, visible au fond de toutes les sociétés, est non seulement adhérent à leur vie, mais encore uniforme et le même pour toutes.

J’ai consacré les études dont je donne ici les résultats à l’examen de ce grand fait.

C’est nous modernes, nous les premiers, qui savons que toute agglomération d’hommes et le mode de culture intellectuelle qui en résulte doivent périr. Les époques précédentes ne le croyaient pas. Dans l’antiquité asiatique, l’esprit religieux, ému comme d’une apparition anormale par le spectacle des grandes catastrophes politiques, les attribuait à la colère céleste frappant les péchés d’une nation ; c’était là, pensait-on, un châtiment propre à amener au repentir les coupables encore impunis. Les juifs, interprétant mal le sens de la Promesse, supposaient que leur empire ne finirait jamais. Rome, au moment même où elle commençait à sombrer, ne doutait pas de l’éternité du sien[1]. Mais, pour avoir vu davantage, les générations actuelles savent beaucoup plus aussi ;

  1. Amédée Thierry, La Gaule sous l’administration romaine, t. I, p. 244.