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s’élever aux lieu et place d’où les dieux les contemplent, les encouragent et les redoutent. C’est une observation qui peut se faire aisément, dans l’existence commune, que les gens sincères sont pris aisément pour ce qu’ils se donnent. À plus forte raison devait-il en être ainsi quand l’homme noir d’Assyrie et d’Égypte, dépouillé et tremblant, entendait son souverain affirmer que, s’il n’était pas encore dieu, il ne tarderait pas à le devenir. Le voyant gouverner, régir, instituer des lois, défricher des forêts, dessécher des marais, fonder des villes, en un mot, accomplir cette œuvre civilisatrice dont lui-même se reconnaissait incapable, l’homme noir disait aux siens : « Il se trompe : il ne va pas devenir dieu, il l’est déjà. » Et ils l’adoraient.

À ce sentiment exagéré de sa dignité on pourrait croire que le cœur de l’homme blanc associait quelque penchant à l’impiété. On serait dans l’erreur ; car précisément le blanc est religieux par excellence (1)[1]. Les idées théologiques le préoccupent à un très haut degré. Déjà on a vu avec quel soin il conservait les anciens souvenirs cosmogoniques, dont la tribu sémite des Hébreux abrahamides posséda, moitié par son propre fonds, moitié par transmission chamitique, les fragments les plus nombreux. La nation ariane, de son côté, prêtait son témoignage à quelques-unes des vérités de la Genèse (2)[2]. D’ailleurs, ce qu’elle cherchait surtout dans la religion, c’étaient les idées métaphysiques, les prescriptions morales. Le culte en lui-même était des plus simples.



(1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 755.

(2) Voici les notions cosmogoniques conservées par une des hymnes du Rigvéda : « Alors il n’y avait ni être ni non-être. Pas d’univers, pas d’atmosphère, ni rien au-dessus ; rien, nulle part, pour le bien de qui que ce fût, enveloppant ou enveloppé. La mort n’était pas, ni non plus l’immortalité, ni la distinction du jour et de la nuit. Mais CELA palpitait sans respirer, seul avec le rapport à lui-même contenu en lui. Il n’y avait rien de plus. Tout était voilé d’obscurité et plongé dans l’eau indiscernable. Mais cette masse ainsi voilée fut manifestée par la force de la contemplation. Le désir (kama, l’amour) naquit d’abord dans son essence, et ce fut la semence originelle, créatrice, que les sages, qui la reconnaissaient dans leur propre cœur, par la méditation, distinguent, au sein du néant, comme étant le

  1. (1) Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 755.
  2. (2) Voici les notions cosmogoniques conservées par une des hymnes du Rigvéda : « Alors il n’y avait ni être ni non-être. Pas d’univers, pas d’atmosphère, ni rien au-dessus ; rien, nulle part, pour le bien de qui que ce fût, enveloppant ou enveloppé. La mort n’était pas, ni non plus l’immortalité, ni la distinction du jour et de la nuit. Mais CELA palpitait sans respirer, seul avec le rapport à lui-même contenu en lui. Il n’y avait rien de plus. Tout était voilé d’obscurité et plongé dans l’eau indiscernable. Mais cette masse ainsi voilée fut manifestée par la force de la contemplation. Le désir (kama, l’amour) naquit d’abord dans son essence, et ce fut la semence originelle, créatrice, que les sages, qui la reconnaissaient dans leur propre cœur, par la méditation, distinguent, au sein du néant, comme étant le lien de l’Existence. » — Lassen, Indisch. Alterth., t. I, p. 774. C’est plus profond et plus vigoureusement analysé que le langage d’Hésiode et que les chants celtiques ; mais ce n’est pas différent.