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ne reconnaisse, avec la Bible et le Coran, l’utilité spiritualiste de la prohibition jetée sur l’imitation des formes humaines chez des peuples si singulièrement enclins à outrepasser les bornes d’une légitime admiration, et à faire des arts du dessin la plus puissante des machines démoralisatrices.

De telles dispositions excessives sont, tout à la fois, favorables et contraires aux arts. Elles sont favorables, parce que, sans la sympathie et l’excitation des masses, il n’y a pas de création possible. Elles nuisent, elles empoisonnent, elles tuent l’inspiration, parce que, l’égarant dans une ivresse trop violente, elles l’écartent de la recherche de la beauté, abstraction qui doit se poursuivre en dehors et au-dessus du gigantesque des formes et de la magie des couleurs.

L’histoire de l’art a beaucoup à apprendre encore, et on pourrait dire qu’à chacune de ses conquêtes elle aperçoit de nouvelles lacunes. Toutefois, depuis Winckelmann, elle a fait des découvertes qui ont changé ses doctrines à plusieurs reprises. Elle a renoncé à attribuer à l’Égypte les origines de la perfection grecque. Mieux renseignée, elle les cherche désormais dans la libre allure des productions assyriennes. La comparaison des statues éginétiques avec les bas-reliefs de Khorsabad ne peut manquer de faire naître entre ces deux manifestations de l’art l’idée d’une très étroite parenté.

Rien de plus glorieux pour la civilisation de Ninive que de s’être avancée si loin sur la route qui devait aboutir à Phidias. Cependant ce n’était pas à ce résultat que tendait l’art assyrien. Ce qu’il voulait, c’était la splendeur, le grandiose, le gigantesque, le sublime, et non pas le beau. Je m’arrête devant ces sculptures de Khorsabad, et qu’y vois-je ? Bien certainement la production d’un ciseau habile et libre. La part faite à la convention est relativement petite, si l’on compare ces grandes œuvres à ce qui se voit dans le temple-palais de Karnak et sur les murailles du Memnonium. Toutefois, les attitudes sont forcées, les muscles saillants, leur exagération systématique. L’idée de la force oppressive ressort de tous ces membres fabuleusement vigoureux, orgueilleusement tendus. Dans le buste, dans les jambes, dans les bras, le désir qui animait l’artiste,