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L’histoire de Carthage montre bien toute la puissance de cette nécessité. Malgré les haines qui semblaient devoir creuser un abîme entre la métropole démagogique et sa fière colonie, Carthage ne voulut pas rompre le lien d’une certaine dépendance. Des rapports longs et bienveillants ne cessèrent d’exister que lorsque Tyr ne compta plus comme entrepôt, et ce ne fut qu’après sa ruine et quand les cités grecques se furent substituées à son activité commerciale, que Carthage affecta la suprématie. Elle rallia alors sous son empire les autres fondations, et devint chef déclaré du peuple chananéen, dont elle avait conservé orgueilleusement le nom, jadis si glorieux. C’est ainsi que ses populations s’appelèrent de tout temps Chanani (1)[1], bien que le sol de la Palestine ne leur ait jamais appartenu (2)[2]. Ce que les Carthaginois ménageaient si fort dans les Tyriens, avec lesquels ils n’avaient pu vivre, c’était moins le foyer du culte national que le libre passage des marchandises vers l’Asie. Voici maintenant un second fait qui redouble l’évidence des déductions à tirer du premier.

Quand les rois perses se furent emparés de la Phénicie et de l’Égypte, ils prétendirent considérer Carthage comme conquise ipso facto et légitimement unie au sort de son ancienne capitale. Ils envoyèrent donc des hérauts aux patriciens du lac Tritonide pour leur donner certains ordres et leur faire certaines défenses. Carthage alors était fort puissante ; elle avait peu sujet de craindre les armées du grand roi, d’abord à cause



(1) Les Phéniciens donnaient à leur pays le nom de Chna ou terre de Chanaan par excellence ; mais cette prétention n’était pas reconnue par les autres nations même de la famille, qui n’attribuaient pas d’appellation collective à l’ensemble des États de la côte syrienne (Movers, t. II, 1re partie, p. 65.) — Outre les Phéniciens, la race de Chanaan compte de nombreux rameaux. Voici l’énumération qu’en donne la Genèse, X, 15 : « Chanaan autem genuit Sidonem, primogenitum suum, Hethæum, 16 : et Zebusæum et Amorrhæum, Gergesæum, 17 : Hevæum et Aracæum, Sinæum, 18 : et Aradium, Samaræum et Amathæum... »

(2) Encore au temps de saint Augustin, le bas peuple de la Carthage romaine se donnait le nom de Chanani. (Gesenius, Hebræische Grammatik, p. 16.)


  1. (1) Les Phéniciens donnaient à leur pays le nom de Chna ou terre de Chanaan par excellence ; mais cette prétention n’était pas reconnue par les autres nations même de la famille, qui n’attribuaient pas d’appellation collective à l’ensemble des États de la côte syrienne (Movers, t. II, 1re partie, p. 65.) — Outre les Phéniciens, la race de Chanaan compte de nombreux rameaux. Voici l’énumération qu’en donne la Genèse, X, 15 : « Chanaan autem genuit Sidonem, primogenitum suum, Hethæum, 16 : et Zebusæum et Amorrhæum, Gergesæum, 17 : Hevæum et Aracæum, Sinæum, 18 : et Aradium, Samaræum et Amathæum... »
  2. (2) Encore au temps de saint Augustin, le bas peuple de la Carthage romaine se donnait le nom de Chanani. (Gesenius, Hebræische Grammatik, p. 16.)