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défendre les navires contre les déprédations des indigènes. Lorsque le lieu prenait de l’importance par la nature des échanges, ou que les Chananéens trouvaient plus fructueux d’exploiter eux-mêmes la contrée, le campement devenait bourg ou ville. La politique de la métropole multipliait ces cités, en prenant grand soin de les maintenir dans un état de petitesse qui les empêchât de songer à aller seules. On pensait aussi que les répandre sur une plus grande étendue de pays augmentait le profit des spéculations. Rarement plusieurs émissions d’émigrants furent dirigées vers un même point, et de là vient que Cadix, au temps de sa plus grande splendeur et quand le monde était plein du bruit de son opulence, n’avait pourtant qu’une étendue des plus modestes et une population permanente très restreinte (1)[1].

Toutes ces bourgades étaient strictement isolées les unes des autres. Une complète indépendance réciproque était le droit inné qu’on leur apprenait à maintenir, avec une jalousie fort agréable à l’esprit centralisateur de la capitale. Libres, elles étaient sans force vis-à-vis de leurs gouvernants lointains, et, ne pouvant se passer de protection, elles adhéraient avec ferveur à la puissante patrie d’où leur venait et qui leur conservait l’existence. Une autre raison très forte de ce dévouement, c’est que ces colonies fondées en vue du commerce n’avaient toutes qu’un grand débouché, l’Asie, et on n’arrivait en Asie qu’en passant par le Chanaan. Pour parvenir aux marchés de Babylone et de Ninive, pour pénétrer en Égypte, il fallait l’aveu des cités phéniciennes et les factoreries se trouvaient ainsi contraintes de confondre en une seule et même idée la soumission politique et le désir de vendre. Se brouiller avec la mère patrie, ce n’était autre chose que se fermer les portes du monde, et voir bientôt richesses et profits passer à quelque bourgade rivale plus soumise, et dès lors plus heureuse.



(1) Strabon, livre III — La ville de cette époque, avec une population que le grand géographe ne pouvait comparer qu’à celle de Rome, n’occupait encore que l’île. Elle avait cependant été agrandie par Balbus.

  1. (1) Strabon, livre III — La ville de cette époque, avec une population que le grand géographe ne pouvait comparer qu’à celle de Rome, n’occupait encore que l’île. Elle avait cependant été agrandie par Balbus.