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puis persane, puis macédonienne. Elle ne fut plus à jamais qu’une ville sujette. Pendant le petit nombre d’années qui lui restèrent encore pour exercer son isonomie, soixante-dix-neuf ans seulement après la fondation de Carthage, elle se rendit célèbre par son esprit séditieux, ses révolutions constantes et sanglantes. Les ouvriers de ses fabriques se portèrent, à plusieurs reprises, à des violences inouïes, massacrant les riches, s’emparant de leurs femmes et de leurs filles et s’établissant en maîtres dans les demeures des victimes au milieu de richesses usurpées (1)[1]. Bref, Tyr devint l’horreur de tout le Chanaan, dont elle avait été la gloire, et elle inspira à toutes les contrées environnantes une haine et une indignation si fortes et de si longue haleine que, lorsque Alexandre vint mettre le siège devant ses murailles, toutes les villes du voisinage s’empressèrent de fournir des vaisseaux pour la réduire. Suivant une tradition locale, on applaudit unanimement en Syrie, quand le conquérant condamna les vaincus à être mis en croix. C’était le supplice légal des esclaves révoltés : les Tyriens n’étaient pas autre chose.

Tel fut, en Phénicie, le résultat du mélange immodéré, désordonné des races, mélange trop compliqué pour avoir eu le temps de devenir une fusion, et qui, n’arrivant qu’à juxtaposer les instincts divers, les notions multiples, les antipathies des types différents, favorisait, créait et éternisait des hostilités mortelles.

Je ne puis m’empêcher de traiter ici épisodiquement une question curieuse, un vrai problème historique. C’est l’attitude humble et soumise des colonies phéniciennes vis-à-vis de leurs métropoles : Tyr d’abord, Carthage ensuite. L’obéissance et le respect furent tels que, pendant une longue suite de siècles, on ne cite pas un seul exemple de proclamation d’indépendance dans ces colonies, qui cependant n’avaient pas toujours été formées des meilleurs éléments.

On connaît leur mode de fondation. C’étaient d’abord de simples campements temporaires, fortifiés sommairement pour

  1. (1) Movers, t. II, 1re partie, p. 366.