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On y découvre, dans les restes écrits parvenus jusqu’à nous, un des meilleurs caractères des langues arianes : c’est le pouvoir, limité, il est vrai, moins grand que dans le sanscrit, le grec et l’allemand, mais considérable encore, de former des mots composés. On y reconnaît, pour les noms, des flexions indiquées par des affixes, et, comme conséquence, une facilité d’inversion perdue pour nous, et dont la langue française du XVIe siècle, ayant imparfaitement hérité, ne jouissait qu’aux dépens de la clarté du discours. Sa lexicologie contenait également de nombreux éléments apportés par la race franque (1)[1]. Ainsi, la langue d’oïl débutait par être presque autant germanique que gauloise, et le celtique y apparaissait au second plan, comme décidant peut-être des raisons mélodiques du langage. Le plus bel éloge qu’on puisse en faire se trouve dans la réussite de l’ingénieux essai de M. Littré, qui a pu traduire littéralement et vers pour vers, en français du XIIIe siècle, le premier chant de l’Iliade, tour de force impraticable dans notre français d’aujourd’hui (2)[2].

Cette langue ainsi dessinée appartenait évidemment à un peuple qui faisait grandement contraste avec les habitants du sud de la Gaule. Plus profondément attaché aux idées catholiques, portant dans la politique des notions vives d’indépendance, de liberté, de dignité, et dans toutes ses institutions une recherche très caractérisée de l’utile, la littérature populaire de cette race eut pour mission de recueillir, non pas les fantaisies de l’esprit ou du cœur, les boutades d’un scepticisme universel, mais bien les annales nationales, telles qu’on les comprenait alors et qu’on les jugeait vraies. Nous devons à cette glorieuse disposition de la nation et de la langue les grandes compositions rimées, surtout Garin le Loherain, témoignage, renié depuis, de la prédominance du Nord. Malheureusement, comme les compilateurs de ces traditions, et même leurs premiers auteurs, avaient, avant tout, l’intention de conserver

  1. Consulter le Fœmina, cité par Hickes dans son Thesaurus litteraturæ septentrionalis et par l’Histoire littéraire de France, t. XVII, p. 633.(1)
  2. (2) Revue des Deux Mondes.