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qui lui avaient été ouvertes, que glaner à la surface. Elle était sans principes sérieux  : elle devait rester un instrument d’universelle indifférence, partant, de scepticisme et de moquerie. Elle ne manqua pas à cette vocation. La race ne tenait à rien qu’aux plaisirs et aux brillantes apparences. Brave à l’excès, joyeuse avec autant d’emportement, passionnée sans sujet et vive sans conviction, elle eut un instrument tout propre à servir ses tendances, et qui d’ailleurs, objet de l’admiration du Dante, ne servit jamais, en poésie, qu’à rimer des satires, des chansons d’amour, des défis de guerre, et, en religion, à soutenir des hérésies comme celle des Albigeois, manichéisme licencieux, dénué de valeur même littéraire, dont un auteur anglais, peu catholique, félicite la papauté d’avoir délivré le moyen âge (1)[1]. Telle fut, jadis, la langue romane, telle on la trouve encore aujourd’hui. Elle est jolie, non pas belle, et il suffit de l’examiner pour voir combien peu elle est apte à servir une grande civilisation.

La langue d’oil se forma-t-elle dans des conditions semblables ? L’examen va prouver que non, et, de quelque manière que la fusion des éléments celtique, latin, germanique, se soit faite, ce qu’on ne peut parfaitement apprécier (2)[2], faute de monuments appartenant à la période de création, il est du moins certain qu’elle naissait d’un antagonisme décidé entre trois idiomes différents, et que le produit représenté par elle devait être pourvu d’un caractère et d’un fond d’énergie tout à fait étranger aux nombreux compromis, aux transactions assez molles d’où était sorti le roman. Cette langue d’oïl fut, à un moment de sa vie, assez rapprochée des principes germaniques.

  1. (1) Macaulay, History of England, t. I, p. 18, éd. de Paris. Les Albigeois sont l’objet d’une prédilection toute spéciale de la part des écrivains révolutionnaires, surtout en Allemagne (voir à ce sujet le poème de Lenau, die Albigenser). Cependant les sectaires du Languedoc se recrutaient surtout dans les classes chevaleresques et chez les dignitaires ecclésiastiques. Mais leurs doctrines étaient antisociales : c’est de quoi leur faire beaucoup pardonner.
  2. (2) La préface de la Chanson de Roland, par M. Génin, contient, à ce sujet, des observations assez curieuses. (Chanson de Roland, in-8o, Imprimerie nationale, Paris, 1851.)