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lui-même et cosmopolite à l’excès. Dans Jérusalem reconstruite, la multitude reparut, parlant un jargon araméen ou chaldéen qui, d’ailleurs, n’était peut-être pas sans ressemblance avec l’idiome des pères d’Abraham.

Aux temps de Jésus-Christ, ce dialecte résistait avec peine à l’invasion d’un patois grec qui, de tous côtés, pénétrait l’intelligence juive. Ce n’était plus guère que sous ce nouveau costume, plus ou moins élégant, affichant plus ou moins de prétentions attiques, que les écrivains juifs d’alors produisaient leurs ouvrages. Les derniers livres canoniques de l’Ancien Testament, comme les écrits de Philon et de Josèphe, sont des œuvres hellénistiques.

Lorsque la destruction de la ville sainte eut dispersé la nation désormais déshéritée des bontés de l’Éternel, l’Orient ressaisit l’intelligence de ses fils. La culture hébraïque rompit avec Athènes comme avec Alexandrie, et la langue, les idées du Talmud, les enseignements de l’école de Tibériade furent de nouveau sémitiques, quelquefois arabes et souvent chananéens, pour employer l’expression d’Isaïe. Je parle de la langue désormais sacrée, de celle des rabbins, de la religion, de celle dès lors considérée comme nationale. Mais pour le commerce de la vie, les Juifs usèrent des idiomes des pays où ils se trouvèrent transportés. Il est encore à noter que partout ces exilés se firent remarquer par leur accent particulier. Le langage qu’ils avaient adopté et appris dès la première enfance ne réussit jamais à assouplir leur organe vocal. Cette observation confirmerait ce que dit M. Guillaume de Humboldt d’un rapport si intime de la race avec la langue, qu’à son avis, les générations ne s’accoutument pas à bien prononcer les mots que ne savaient pas leurs ancêtres (1)[1].

Quoi qu’il en soit, voilà, dans les Juifs, une preuve remarquable de cette vérité, qu’on ne doit pas toujours, à première vue, établir une concordance exacte entre une race et la langue dont elle est en possession, attendu que cette langue peut

  1. (1) C'est aussi le sentiment de M. W. Edwards, Caractères physiques des races humaines, p. 101 et passim.