Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup plus longtemps que les peuples ne gardent leurs corps d’État. Il se fait reconnaître après que les peuples ont changé de nom. Seulement, s’altérant comme leur sang, il ne disparaît, il ne meurt qu’avec la dernière parcelle de leur nationalité (1)[1]. Le grec moderne est dans ce cas ; mutilé autant que possible, dépouillé de la meilleure part de ses richesses grammaticales, troublé et souillé dans sa lexicologie, appauvri même, à ce qu’il semble, quant au nombre de ses sons, il n’en a pas moins conservé son empreinte originelle (2)[2]. C’est, en quelque sorte, dans l’univers intellectuel, ce qu’est, sur la terre, ce Parthénon si dégradé, qui, après avoir servi d’église aux popes, puis, devenu poudrière, avoir éclaté, en mille endroits de son fronton et de ses colonnes, sous les boulets vénitiens de Morosini, présente encore à l’admiration des siècles l’adorable modèle de la grâce sérieuse et de la majesté simple.

Il arrive aussi qu’une parfaite fidélité à la langue des aïeux n’est pas dans le caractère de toutes les races. C’est encore là une difficulté de plus quand on cherche à démêler, à l’aide de la philologie, soit l’origine, soit le mérite relatif des types humains. Non seulement il arrive aux idiomes de subir des

  1. (1) Une observation intéressante, c’est de voir, dans les langues issues d’une langue moyenne, certains dérivés se présenter sous une forme bien plus rapprochée de la racine primitive que le mot d’où, en général, on les suppose formés ou que celui qui, dans la langue la plus voisine, exprime la même idée. Ainsi fureur : all. Wuth, angl. mad, sanscrit mada ; désir, comme expression de la passion : all. Begierde, franç. rage, sanscrit raga ; devoir : all. Pflicht, angl. Duty, sanscrit dutia ; ruisseau : all. rinnen, lat. rivus, sanscrit arivi, grec ῥέω. (Voir Klaproth, Asia polyglotta, in-4o.) On pourrait induire de ce fait que quelques races, après avoir subi un certain nombre de mélanges, sont partiellement ramenées à une pureté plus grande, à une vigueur blanche plus prononcée que d’autres qui les ont devancées dans l’ordre des temps.
  2. (2) La Grèce antique, qui possédait de nombreux dialectes, n’en avait cependant pas autant que celle du XVIe siècle, lorsque Siméon Kavasila en comptait soixante et dix ; et, remarque à rattacher à ce qui va suivre, au XVIIIe siècle, on parlait le français dans toute l’Hellade et surtout dans l’Attique. (Heilmayer, cité par Pott, Encycl. v, Ersch u. Gruber, indo-germanischer Sprachstamm, p. 73.)