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Les mœurs des Péruviens se montraient, sans doute, plus douces, leurs idées religieuses aussi inoffensives qu’étaient féroces celles des sujets de Montézuma. Malgré tout cela, l’ensemble de leur état social était loin de présenter autant d’énergie, autant de variété. Tandis que leur despotisme, assez grossier, ne réalisait qu’une sorte de communisme hébétant, la civilisation aztèque avait essayé des formes de gouvernement très raffinées. L’état militaire y était beaucoup plus vigoureux, et, bien que les deux empires ignorassent également l’usage de l’écriture, il semblerait que la poésie, l’histoire et la morale, fort cultivées au moment où apparut Cortez, auraient joué un plus grand rôle au Mexique qu’au Pérou, dont les institutions penchaient vers un épicuréisme nonchalant peu favorable aux travaux de l’intelligence. Il devient alors tout simple d’avoir à constater la supériorité du peuple le plus actif sur le peuple le plus modeste.

Au reste, l’opinion de M. Guillaume de Humboldt est, ici, conséquente à la manière dont il définit la civilisation (1)[1]. Sans renouveler la controverse, il m’était indispensable de ne pas laisser ce point dans l’ombre ; car, si deux civilisations avaient pu se développer jamais parallèlement à des langues en contradiction avec leurs mérites respectifs, il faudrait abandonner l’idée de toute solidarité entre la valeur des idiomes et celle des intelligences. Ce fait est impossible à concéder dans une mesure différente de ce que j’ai dit plus haut pour le sanscrit et le grec comparés à l’anglais, au français, à l’allemand.

D’ailleurs, en suivant cette voie, ce ne serait pas une médiocre difficulté que de déterminer pour les populations métisses les causes de l’état idiomatique où on les trouve. On ne possède pas toujours, sur la quotité des mélanges ou sur leur qualité, des lumières suffisantes pour pouvoir en examiner le travail organisateur. Cependant l’influence de ces causes premières persiste, et, si elle n’est pas démasquée, elle peut aisément conduire à des conclusions erronées. Précisément parce que le rapport de l’idiome à la race est assez étroit, il se conserve

  1. (1) Voir p. 82.