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surtout des lèvres pour créer les sons ; là, les rendant par la contraction de la gorge ; dans un autre système, les produisant par l’émission nasale et comme du haut de la tête. La composition des parties du discours n’offre pas des marques moins distinctes, réunissant ou séparant les nuances de la pensée, et présentant, surtout dans les flexions des substantifs et dans la nature du verbe, les preuves les plus frappantes de la différence de logique et de sensibilité qui existe entre les catégories humaines. Que résulte-t-il de là ? C’est que, lorsque le philosophe s’efforçant de se rendre compte, par des conjectures purement abstraites, de l’origine des langages, débute dans ce travail par se mettre en présence de l’homme idéalement conçu, de l’homme dépourvu de tous caractères spéciaux de race, de l’homme enfin, il commence par un véritable non-sens, et continue infailliblement de même. Il n’y a pas d’homme idéal, l’homme n’existe pas, et si je suis persuadé qu’on ne le découvre nulle part, c’est surtout lorsqu’il s’agit de langage. Sur ce terrain, je connais le possesseur de la langue finnoise, celui du système arian ou des combinaisons sémitiques ; mais l’homme absolu, je ne le connais pas. Ainsi, je ne puis pas raisonner d’après cette idée, que tel point de départ unique ait conduit l’humanité dans ses créations idiomatiques. Il y a eu plusieurs points de départ parce qu’il y avait plusieurs formes d’intelligence et de sensibilité[1].

Passant maintenant à la seconde opinion, je ne crois pas moins à sa fausseté. Suivant cette doctrine, il n’y aurait eu dé-

  1. M. Guillaume de Humboldt, dans un de ses plus brillants opuscules, a exprimé, d’une manière admirable, la partie essentielle de cette vérité : « Partout, dit ce penseur de génie, l’œuvre du temps s’unit dans les langages à l’œuvre de l’originalité nationale, et ce qui caractérise les idiomes des hordes guerrières de l’Amérique et de l’Asie septentrionale, n’a pas nécessairement appartenu aux races primitives de l’Inde et de la Grèce. Il n’est pas possible d’attribuer une marche parfaitement pareille et, en quelque sorte, imposée par la nature, au développement, soit d’une langue appartenant à une nation prise isolément, soit d’une autre qui aura servi à plusieurs peuples. » (W. v. Humboldt’s, Ueber das entstehen der grammatischen Formen, und ihren Einfluss auf die Ideenentwickelung.)