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Pour la valeur morale, je l’ai mise complètement hors de question quand j’ai constaté l’aptitude de toutes les familles humaines à reconnaître, dans un degré utile, les lumières du christianisme. Lorsqu’il s’agit du mérite intellectuel, je me refuse absolument à cette façon d’argumenter qui consiste à dire : Tout nègre est inepte[1], et ma principale raison pour m’en abstenir, c’est que je serais forcé de reconnaître, par compensation, que tout Européen est intelligent, et je me tiens à cent lieues d’un pareil paradoxe.

Je n’attendrai pas que les amis de l’égalité des races viennent me montrer tel passage de tel livre de missionnaire ou de navigateur, d’où il conte qu’un Yolof s’est montré charpentier vigoureux, qu’un Hottentot est devenu bon domestique, qu’un Cafre danse et joue du violon, et qu’un Bambara sait l’arithmétique.

J’admets, oui, j’admets, avant qu’on me le prouve, tout ce qu’on pourra raconter de merveilleux, dans ce genre, de la part des sauvages les plus abrutis. J’ai nié l’excessive stupidité, l’ineptie chronique, même chez les tribus le plus bas ravalées. Je vais même plus loin que mes adversaires, puisque je ne révoque pas en doute qu’un bon nombre de chefs nègres dépassent, par la force et l’abondance de leurs idées, par la puissance de combinaison de leur esprit, par l’intensité de leurs facultés actives, le niveau commun auquel nos paysans, voire même nos bourgeois convenablement instruits et doués peuvent atteindre. Encore une fois, et cent fois, ce n’est pas sur le terrain étroit des individualités que je me place. Il me paraît trop indigne de la science de s’arrêter à de si futiles arguments. Si Mungo-Park ou Lander ont donné à quelque nègre un certificat d’intelligence, qui me répond qu’un autre voyageur, rencontrant le même phénix, n’aura pas fondé sur sa tête une conviction diamétralement opposée ? Laissons donc ces puérilités, et comparons, non pas les hommes, mais les

  1. Le jugement le plus rigoureux peut-être qui ait été porté sur la variété mélanienne émane d’un des patriarches de la doctrine égalitaire. Voici comment Franklin définissait le nègre : « C’est un animal qui mange le plus possible et travaille le moins possible. »