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points demeurèrent pourtant distinctes. À Ecbatane, on ne comprenait qu’une autorité unique, héréditaire, limitée par certaines prescriptions traditionnelles, absolue dans le reste. Dans l’Hellade, le pouvoir était subdivisé en une foule de petites souverainetés. Le gouvernement, aristocratique chez les uns, démocratique chez les autres, monarchique chez ceux-ci, tyrannique chez ceux-là, affichait à Sparte, à Athènes, à Sicyone, en Macédoine, la plus étrange bigarrure. Chez les Perses, le culte de l’État, beaucoup plus rapproché de l’émanatisme primitif, montrait la même tendance à l’unité que le gouvernement, et surtout avait une portée morale et métaphysique qui ne manquait pas de profondeur. Chez les Grecs, le symbolisme, ne se prenant qu’aux apparences variées de la nature, se contentait de glorifier les formes. La religion abandonnait aux lois civiles le soin de commander à la conscience, et du moment qu’étaient parachevés les rites voulus, les honneurs rendus au dieu ou au héros topique, la foi avait rempli sa mission. Puis ces rites, ces honneurs, ces dieux et ces héros changeaient à chaque demi-lieue. Au cas où, dans quelques sanctuaires, comme à Olympie, par exemple, ou à Dodone, on voudrait reconnaître, non plus l’adoration d’une des forces ou d’un des éléments de la nature, mais celle du principe cosmique lui-même, cette sorte d’unité ne ferait que rendre le fractionnement plus remarquable, comme n’étant pratiquée que dans des lieux isolés. D’ailleurs l’oracle Dodonéen, le Jupiter d’Olympie étaient des cultes étrangers.

Pour les usages, il n’est pas besoin de faire ressortir à quel point ils différaient de ceux de la Perse. C’était s’exposer au mépris public, lorsqu’on était jeune, riche, voluptueux et cosmopolite, que de vouloir imiter les façons de vivre de rivaux bien autrement luxueux et raffinés que les Hellènes. Ainsi, jusqu’au temps d’Alexandre, c’est-à-dire, pendant la belle et grande période de la puissance grecque, pendant la période féconde et glorieuse, la Perse, malgré toute sa prépondérance, ne put convertir la Grèce à sa civilisation.

Avec Alexandre, ce fait reçut une confirmation singulière. En voyant l’Hellade conquérir l’empire de Darius, on crut,