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sauvages ont conservé des traces d’une situation meilleure que celle où nous les voyons plongées. Il est des tribus, fort brutales d’ailleurs, qui, pour la célébration des mariages, pour la répartition des héritages, pour l’administration politique, ont des règlements traditionnels d’une complication curieuse, et dont les rites, aujourd’hui privés de sens, dérivent évidemment d’un ordre d’idées supérieur. On en cite, comme témoignage, les tribus de Peaux-Rouges errant dans les vastes solitudes que l’on suppose avoir vu jadis les établissements des Alléghaniens[1]. Il est d’autres peuples qui possèdent des procédés de fabrication dont ils ne peuvent être les inventeurs : tels les naturels des îles Mariannes. Ils les conservent sans réflexion, et les mettent en usage, pour ainsi dire, machinalement.

Il y a donc lieu d’y regarder de près lorsque, voyant une nation dans l’état de barbarie, on se sent porté à conclure qu’elle y a toujours été. Pour ne commettre aucune erreur, tenons compte de plusieurs circonstances.

Il y a des peuples qui, saisis par l’activité d’un race parente, s’y soumettent à peu près, en acceptent certaines conséquences, en retiennent certains procédés ; puis, lorsque la race dominatrice vient à disparaître, soit par expulsion, soit par immersion complète dans le sein des vaincus, ceux-ci laissent périr la culture presque entière, les principes surtout, et n’en gardent que le peu qu’ils en ont pu comprendre. Ce fait ne peut d’ailleurs arriver qu’entre des nations alliées par le sang. Ainsi ont agi les Assyriens envers les créations chaldéennes ; les Grecs syriens et égyptiens, vis-à-vis des Grecs d’Europe ; les Ibères, les Celtes, les Illyriens, à l’encontre des idées romaines. Si donc les Cherokees, les Catawhas, les Muskhogees, les Séminoles, les Natchez, etc., ont gardé une certaine empreinte de l’intelligence alléghanienne, je n’en conclurai pas qu’ils sont les descendants directs et purs de la partie initiatrice de la race, ce qui entraînerait la conséquence qu’une race peut avoir été civilisée et ne l’être plus : je dirai que, si quelqu’une de ces tribus tient encore ethniquement à l’ancien type dominateur, c’est par un lien indirect et très bâtard, sans quoi les

  1. Prichard, Histoire naturelle de l’homme, t. II, p. 78.