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tion universelle, rêve de tant de siècles, et que rien ne pourrait empêcher de se réaliser, si, en effet, toutes les races étaient pourvues de la même dose et de la même forme de facultés.

On sait de reste que ce tableau est fantastique. Les premiers peuples, dignes de ce nom, se sont agglomérés sous l’empire d’une idée d’association que les barbares, vivant plus ou moins loin d’eux, non seulement n’avaient pas eue aussi promptement, mais n’ont pas eue depuis. Ils ont émigré de leur premier domaine et ont rencontré d’autres peuplades : ces peuplades ont été domptées, elles n’ont jamais ni embrassé sciemment ni compris l’idée qui dominait dans la civilisation qu’on venait leur imposer. Bien loin de témoigner que l’intelligence de toutes les tribus humaines fût semblable, les nations civilisables ont toujours prouvé le contraire, d’abord en asseyant leur état social sur des bases complètement diverses, ensuite en montrant les unes pour les autres un éloignement décidé. La force de l’exemple n’a rien éveillé chez les groupes qui ne se trouvaient pas poussés par un ressort intérieur. L’Espagne et les Gaules ont vu tour à tour les Phéniciens, les Grecs, les Carthaginois établir sur leurs côtes des villes florissantes. Ni l’Espagne ni les Gaules n’ont consenti à imiter les mœurs, les gouvernements de ces marchands célèbres, et, quand les Romains sont venus, ces vainqueurs ne sont parvenus à transformer leur nouveau domaine qu’en le saturant de colonies. Les Celtes et les Ibères ont prouvé alors que la civilisation ne s’acquiert pas sans le mélange du sang.

Les peuplades américaines, à quel spectacle ne leur est-il pas donné d’assister en ce moment ? Elles se trouvent placées aux côtés d’un peuple qui veut grandir de nombre pour augmenter de puissance. Elles voient sur leurs rivages passer et repasser des milliers de navires. Elles savent que la force de leurs maîtres est irrésistible. L’espoir de voir, un jour, leurs contrées natales délivrées de la présence des conquérants n’existe chez aucune d’elles. Toutes ont conscience que leur continent tout entier est désormais le patrimoine de l’Européen. Elles n’ont qu’à regarder pour se convaincre de la fécondité de ces institutions exotiques qui ne font plus dépendre la pro-