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inoubliables découvertes. Toutes ont cru à leur immortalité. Les familles des Incas, dont les palanquins parcouraient avec rapidité ces admirables chaussées de cinq cents lieues de long qui unissent encore Cuzco à Quito, étaient convaincues certainement de l’éternité de leurs conquêtes. Les siècles, d’un coup d’aile, ont précipité leur empire, à côté de tant d’autres, dans le plus profond du néant. Ils avaient, eux aussi, ces souverains du Pérou, leurs sciences, leurs mécaniques, leurs puissantes machines dont nous admirons avec stupeur les œuvres sans pouvoir en deviner le secret. Ils connaissaient, eux aussi, le secret de transporter des masses énormes. Ils construisaient des forteresses où l’on entassait les uns sur les autres des blocs de pierre de trente-huit pieds de long sur dix-huit de large. Les ruines de Tihuanaco, nous montrent un tel spectacle, et ces matériaux monstrueux étaient apportés de plusieurs lieues de distance. Savons-nous comment s’y prenaient les ingénieurs de ce peuple évanoui pour résoudre un tel problème ? Nous ne le savons pas plus que les moyens appliqués à la construction des gigantesques murailles cyclopéennes dont les débris résistent encore, sur tant de points de l’Europe méridionale, aux efforts du temps.

Ainsi, ne prenons pas les résultats d’une civilisation pour ses causes. Les causes se perdent, les résultats s’oublient quand disparaît l’esprit qui les avait fait éclore, ou, s’ils persistent, c’est grâce à un nouvel esprit qui va s’en emparer, et souvent leur donner une portée différente de celle qu’ils avaient d’abord. L’intelligence humaine, constamment vacillante, court d’un point à un autre, n’a point d’ubiquité, exalte la valeur de ce qu’elle tient, oublie ce qu’elle lâche, et, enchaînée dans le cercle qu’elle est condamnée à ne jamais franchir, ne réussit à féconder une partie de ses domaines qu’en laissant l’autre en friche, toujours à la fois supérieure et inférieure à ses ancêtres. L’humanité ne se surpasse donc jamais elle-même ; l’humanité n’est donc pas perfectible à l’infini.