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vaient encore. Virgile était lu partout. Les paysans, qui l’entendaient vanter, le prenaient pour un dangereux enchanteur. Les moines le copiaient. Ils copiaient aussi Pline, Dioscoride, Platon et Aristote. Ils copiaient de même Catulle et Martial. Dans le moyen âge, on peut, au grand nombre qui nous en reste après tant de guerres, de dévastations, d’incendies d’abbayes et de châteaux, deviner combien les œuvres littéraires, scientifiques, philosophiques, sorties de la plume des contemporains, avaient été multipliées au delà de ce qu’on pense. On s’exagère donc les mérites réels de l’imprimerie envers la science, la poésie, la moralité et la vraie civilisation, et l’on serait plus exact si, glissant modestement sur cette thèse, on s’attachait surtout à parler des services journaliers rendus par cette invention aux intérêts religieux et politiques de toutes venues. L’imprimerie, je le répète, est un merveilleux instrument ; mais, lorsque la main et la tête font défaut, l’instrument ne saurait bien fonctionner par lui-même.

Une longue démonstration n’est pas nécessaire pour établir que la poudre à canon ne peut non plus sauver une société en danger de mort. C’est une connaissance qui ne s’oubliera certainement pas. D’ailleurs il est douteux que les peuples sauvages qui la possèdent aujourd’hui comme nous, et s’en servent autant, la considèrent jamais à un autre point de vue que celui de la destruction.

Pour la vapeur et toutes les découvertes industrielles, je dirai aussi, comme de l’imprimerie, que ce sont de grands moyens ; j’ajouterai que l’on a vu quelquefois des procédés nés de découvertes scientifiques se perpétuer à l’état de routine, quand le mouvement intellectuel qui les avait fait naître s’était arrêté pour toujours, et avait laissé perdre le secret théorique d’où ces procédés émanaient. Enfin, je rappellerai que le bien-être matériel n’a jamais été qu’une annexe extérieure de la civilisation, et qu’on n’a jamais entendu dire d’une société qu’elle avait vécu uniquement parce qu’elle connaissait les moyens d’aller vite et de se bien vêtir.

Toutes les civilisations qui nous ont précédés ont pensé, comme nous, s’être cramponnées au rocher du temps par leurs