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comme l’Italie romaine, de deux siècles de paix, qui n’ont d’ailleurs, hélas ! rien prouvé pour l’avenir[1] !

La perfectibilité humaine n’est donc pas démontrée par l’état de notre civilisation. L’homme a pu apprendre certaines choses, il en a oublié beaucoup d’autres. Il n’a pas ajouté un sens à ses sens, un membre à ses membres, une faculté à son âme. Il n’a fait que tourner d’un autre côté du cercle qui lui est dévolu, et la comparaison de ses destinées à celles de nombreuses familles d’oiseaux et d’insectes n’est pas même propre à inspirer toujours des pensées bien consolantes sur son bonheur d’ici-bas.

Depuis le moment où les termites, les abeilles, les fourmis noires ont été créées, elles ont trouvé spontanément le genre de vie qui leur convenait. Les termites et les fourmis, dans leurs communautés, ont d’abord découvert, pour leurs demeures, un mode de construction, et pour leurs provisions un emmagasinement, pour leurs œufs un système de soins, dont les naturalistes pensent qu’il n’admet pas de variations ni de perfectionnements[2]. Du moins tel qu’il est, il a constamment suffi aux besoins des pauvres êtres qui l’emploient. De même les abeilles, avec leur gouvernement monarchique exposé à des renversements de souveraines, jamais à des révolutions sociales, n’ont pas, un seul jour, ignoré la manière de vivre la plus appropriée à ce que désire leur nature. Il a été loisible longtemps aux métaphysiciens d’appeler les animaux des machines, et de reporter à Dieu, anima brutorum, la cause de leurs mouvements. Aujourd’hui que, d’un œil un peu plus soigneux, on étudie les mœurs de ces prétendus automates, on ne s’est pas borné à abandonner cette doctrine dédaigneuse : on a reconnu à l’instinct une portée qui l’approche de la dignité de la raison.

Que dire lorsque, dans les royaumes des abeilles, on voit les souveraines exposées à la colère des sujettes, ce qui suppose, ou l’esprit de mutinerie chez ces dernières, ou l’inapti-

  1. Amédée Thierry, Histoire de la Gaule sous l’administration romaine, t. I, p. 241.
  2. Martius und Spix, Reise in Brasilien, t. III, p. 950 et passim.