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mœurs bien cultivées. Mais, qu’on en soit certain toutefois, chez le cannibale le plus répugnant, il reste une étincelle du feu divin, et la compréhension peut s’allumer chez lui au moins jusqu’à un certain degré. Pas de tribus si humbles qui ne portent, sur les choses dont elles sont entourées, des jugements quelconques, vrais ou faux, justes ou erronés, qui, par le fait seul qu’ils existent, prouvent suffisamment la persistance d’un rayon intellectuel dans toutes les branches de l’humanité. C’est par là que les sauvages les plus dégradés sont accessibles aux enseignements de la religion et qu’ils se distinguent, d’une manière toute particulière et toujours reconnaissable, des brutes les plus intelligentes.

Cependant, cette vie morale, placée au fond de la conscience de chaque individu de notre espèce, est-elle capable de se dilater à l’infini ? Tous les hommes ont-ils, à un degré égal, le pouvoir illimité de progresser dans leur développement intellectuel ? Autrement dit, les différentes races humaines sont-elles douées de la puissance de s’égaler les unes les autres ? Cette question est, au fond, celle de la perfectibilité indéfinie de l’espèce et de l’égalité des races entre elles. Sur les deux points, je réponds non.

L’idée de la perfectibilité à l’infini séduit beaucoup les modernes et ils s’appuient sur cette remarque que notre mode de civilisation possède des avantages et des mérites que nos prédécesseurs, différemment cultivés, n’avaient pas. On cite tous les faits qui distinguent nos sociétés. J’en ai parlé déjà ; je me prête volontiers à les énumérer de nouveau.

On assure donc que nous possédons, sur tout ce qui relève du domaine de la science, des opinions plus vraies ; que nos mœurs sont, en général, douces, et notre morale préférable à celles des Grecs et des Romains. Nous avons aussi, ajoute-t-on, au sujet de la liberté politique, des idées et des sentiments, des opinions, des croyances, des tolérances qui prouvent mieux que tout le reste notre supériorité. Il ne manque pas de théoriciens à belles espérances pour soutenir que les conséquences de nos institutions doivent nous conduire tout droit à ce jardin des Hespérides, si cherché et si peu trouvé depuis que les