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à Naples, en Russie, les principes sont encore assez stables, parce que les populations sont plus homogènes, ou du moins appartiennent à des groupes de la même catégorie et ont des instincts similaires. Mais, partout ailleurs, surtout en France, dans l’Italie centrale, en Allemagne, où la diversité ethnique est sans bornes, les théories gouvernementales ne peuvent jamais s’élever à l’état de vérités, et la science politique est en perpétuelle expérimentation. Notre civilisation, rendue ainsi incapable de prendre une croyance ferme en elle-même, manque donc de cette stabilité qui est un des principaux caractères que j’ai dû comprendre plus haut dans la formule de définition. Comme on ne trouve pas cette triste impuissance au milieu des sociétés bouddhiques et brahmaniques, comme le Céleste Empire ne la connaît pas non plus, c’est un avantage que ces civilisations ont sur la nôtre. Là, tout le monde est d’accord quant à ce qu’il faut croire en matière politique. Sous une sage administration, quand les institutions séculaires portent de bons fruits, on se réjouit. Lorsque, entre des mains maladroites, elles nuisent au bien-être public, on les plaint comme on se plaint soi-même. Mais, en aucun temps, le respect ne cesse de les entourer. On veut quelquefois les épurer, jamais les mettre à néant ni les remplacer par d’autres. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir là une garantie de longévité que notre civilisation est bien loin de comporter.

Au point de vue des arts, notre infériorité vis-à-vis de l’Inde est marquée, tout autant qu’en face de l’Égypte, de la Grèce et de l’Amérique. Ni dans le grandiose, ni dans le beau, nous n’avons rien de comparable aux chefs-d’œuvre des races antiques, et lorsque, nos jours étant consommés, les ruines de nos monuments et de nos villes couvriront la face de nos contrées, certainement le voyageur ne découvrira rien, dans les forêts et les marécages des bords de la Tamise, de la Seine et du Rhin, qui rivalise avec les somptueuses ruines de Philæ, de Ninive, du Parthénon, de Salsette, de la vallée de Tenochtitlan. Si, dans le domaine des sciences positives, les siècles futurs ont à apprendre de nous, il n’en est pas ainsi pour la poésie. L’admiration désespérée que nous avons vouée, avec tant de justice,