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les Thibétains habitent un climat rigoureux ; cependant leur sobriété est encore très notable. Ce qui domine pour l’un et l’autre de ces peuples, c’est le développement philosophique et religieux chargé de donner un aliment aux exigences, bien autrement inquiètes, de l’âme et de l’esprit. Ainsi, là, aucun équilibre entre les deux principes mâle et femelle ; la prédominance étant du côté de la partie intellectuelle, lui donne trop de poids, et il en résulte que tous les travaux de cette civilisation sont presque uniquement portés vers un résultat au détriment de l’autre. Des monuments immenses, des montagnes de pierre, seront sculptés au prix d’efforts et de peines qui épouvantent l’imagination. Des constructions gigantesques couvriront la terre : dans quel but ? celui d’honorer les dieux, et on ne fera rien pour l’homme, à moins que ce ne soient des tombes. À côté des merveilles produites par le ciseau du sculpteur, la littérature, non moins puissante, créera d’admirables chefs-d’œuvre. Dans la théologie, dans la métaphysique, elle sera aussi ingénieuse, aussi subtile que variée, et la pensée humaine descendra, sans s’effrayer, jusqu’à d’incommensurables profondeurs. Dans la poésie lyrique, la civilisation féminine sera l’orgueil de l’humanité.

Mais si du domaine de la rêverie idéaliste je passe aux inventions matériellement utiles et aux sciences qui en sont la théorie génératrice, d’un sommet je tombe dans un abîme, et le jour éclatant fait place à la nuit. Les inventions utiles demeurent rares, mesquines, stériles ; le talent d’observation n’existe pour ainsi dire pas. Tandis que les Chinois trouvaient beaucoup, les Hindous n’imaginaient qu’assez peu, et n’en prenaient guère souci ; les Grecs, de même, nous transmettaient des connaissances souvent indignes d’eux, et les Romains, une fois arrivés au point culminant de leur histoire, tout en faisant plus, ne purent aller bien loin, car le mélange asiatique, dans lequel ils s’absorbaient avec une rapidité effrayante, leur refusait les qualités indispensables pour une patiente investigation des réalités. Ce qu’on peut dire d’eux toutefois, c’est que leur génie administratif, leur législation et les monuments utiles dont ils pourvoyaient le sol de leurs territoires, attestent suffisamment