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conserve, même en la démentant à chaque heure par ses actes, cette doctrine, que l’un des traits principaux de la civilisation, c’est d’emprunter à Dieu, en faveur des intérêts humains, quelque chose de son immutabilité; et si cette ressemblance visiblement n’existe pas, il se rassure et se console en se persuadant que demain il va y atteindre.

À côté de la stabilité et du concours des intérêts individuels se touchant sans se détruire, il faut placer un troisième et un quatrième caractère, l’anathème de la violence, puis la sociabilité.

Enfin, de la sociabilité et du besoin de se défendre moins avec le poing qu’avec la tête, naissent les perfectionnements de l’intelligence, qui, à leur tour, amènent les perfectionnements matériels, et c’est à ces deux derniers traits que l’œil reconnaît surtout un état social avancé (1)[1].

Je crois maintenant pouvoir résumer ma pensée sur la civilisation, en la définissant comme un état de stabilité relative, où des multitudes s’efforcent de chercher pacifiquement la satisfaction de leurs besoins, et raffinent leur intelligence et leurs mœurs.

Dans cette formule tous les peuples que j’ai cités jusqu’ici comme civilisés entrent les uns aussi bien que les autres. Il s’agit maintenant de savoir si, les conditions indiquées étant remplies, toutes les civilisations sont égales. C’est ce que je ne pense pas ; car, les besoins et la sociabilité de toutes les nations d’élite n’ayant pas la même intensité ni la même direction, leur intelligence et leurs mœurs prennent, dans leur qualité, des degrés très divers. De quoi l’Hindou a-t-il besoin matériellement ? de riz et de beurre pour sa nourriture, d’une toile de coton pour son vêtement. On sera tenté, sans doute, d’attribuer cette sobriété extrême aux conditions climatériques. Mais

  1. C’est là aussi que se trouve la source principale des faux jugements sur l'état des peuples étrangers. De ce que l'extérieur de leur civilisation ne ressemble pas à la partie correspondante de la nôtre, nous sommes souvent portés à conclure hâtivement, ou qu'ils sont barbares ou qu'ils sont nos inférieurs en mérite. Rien n'est plus superficiel, et partant ne doit être plus suspect, qu'une conclusion tirée de pareilles prémisses.