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Le système de M. Guillaume de Humboldt fait, du reste, le plus grand honneur à la délicatesse grandiose qui était le trait dominant de cette généreuse intelligence, et on peut le comparer, dans sa nature essentiellement abstraite, à ces mondes fragiles imaginés par la philosophie hindoue. Nés du cerveau d’un Dieu endormi, ils s’élèvent dans l’atmosphère pareils aux bulles irisées que souffle dans le savon le chalumeau d’un enfant, et se brisent et se succèdent au gré des rêves dont s’amuse le céleste sommeil.

Placé par le caractère de mes recherches sur un terrain plus rudement positif, j’ai besoin d’arriver à des résultats que la pratique et l’expérience puissent palper un peu mieux. Ce que l’angle de mon rayon visuel s’efforce d’embrasser, ce n’est pas, avec M. Guizot, l’état plus ou moins prospère des sociétés ; ce n’est pas non plus, avec M. G. de Humboldt, l’élévation isolée des intelligences individuelles : c’est l’ensemble de la puissance, aussi bien matérielle que morale, développée dans les masses. Troublé, je l’avoue, par le spectacle des déviations où se sont égarés deux des hommes les plus admirés de ce siècle, j’ai besoin, pour suivre librement une route écartée de la leur, de me recorder avec moi-même et de prendre du plus haut possible les déductions indispensables afin d’arriver d’un pas ferme à mon but. Je prie donc le lecteur de me suivre avec patience et attention dans les méandres où je dois m’engager, et je vais m’efforcer d’éclairer de mon mieux l’obscurité naturelle de mon sujet.

Il n’y a pas de peuplade si abrutie chez laquelle ne se démêle un double instinct : celui des besoins matériels, et celui de la vie morale. La mesure d’intensité des uns et de l’autre donne naissance à la première et la plus sensible des différences entre les races. Nulle part, voire dans les tribus les plus grossières, les deux instincts ne se balancent à forces égales. Chez les unes, le besoin physique domine de beaucoup ; chez les autres, les tendances contemplatives l’emportent au contraire. Ainsi les basses hordes de la race jaune nous apparaissent dominées par la sensation matérielle, sans cependant être absolument privées de toute lueur portée sur les choses surhumaines.